« Avant les artistes dialoguaient avec les dieux.
Maintenant, ils dialoguent avec les hommes »
L’ouverture de l’artothèque, hier soir, n’a pas permis à elle seule cette (r)évolution. Mais elle y participe largement.
En faisant référence à cette citation, Dominique Calasse-Levassor, responsable de cette maison de l’art vivant mise en place par le Conseil général, imprime cette volonté de désacraliser l’Art : « les arts plastiques, c’est l’expression primaire de l’individu. C’est un acte humain, qui permet de toucher l’authentique, le réel. Tout le monde est concerné par les arts plastiques, par exemple en choisissant une couleur, une forme d’objet ».
Et parce que tout le monde est concerné, l’artothèque permettra à chacun de s’approprier une ou plusieurs œuvres d’art. « Une œuvre originale, précise Dominique Calasse-Levassor. Et c’est très important. Quand une œuvre entrera dans une maison, ou dans une école, les gens en recevront plein la gueule. Ils réagiront, c’est une manière de lutter contre l’indifférence ». Et puis, dit-elle encore, les gens pourront toucher les œuvres, un contact essentiel…
Pour son inauguration, l’artothèque a choisi d’exposer 132 œuvres créées autour du thème « le livre détourné ». « La Réunion est une île de grande tradition littéraire, explique l’organisatrice. On s’est demandé comment relier les arts plastiques et l’écrit, comment rattraper ceux qui ne savent pas lire, ceux qui sont exclus de cette image valorisante que l’on peut exporter. Or, tout le monde a des livres chez soi, ne serait-ce qu’un bottin, un calendrier, des journaux. Il était d’ailleurs de tradition d’en décorer les murs des cases. D’eux-mêmes, les gens les ont déjà transformés. Détourner le livre, c’est permettre que chacun se l’approprie. Ceux qui viendront ici verront comment on peut créer à partir d’un support familier, qui n’est d’habitude pas valorisé »
Les enfants, qui hier soir fabriquaient le livre d’or de l’expo à partir de matériaux mis à leur disposition, ont déjà entendu le message. Les quelques centaines d’adultes qui se baladaient dans la magnifique maison Mas, bourrée d’œuvre d’art, étaient, dans l’ensemble, plus distants. Peut-être un peu commotionnés par cette profusion d’art, d’un niveau qu’on n’a pas souvent l’habitude de voir à La Réunion.
Mais le premier a été franchi hier soir. Les plasticiens réunionnais disposent maintenant d’un lieu exceptionnel pour faire vivre leur art. Et le public pourra pénétrer dans cette maison et en repartir les bras chargés d’un fragment d’art d’avant d’art créé pour circuler.
Nathalie Bertrand, extrait du « Témoignages », 1er octobre 1991