Après PK 1 Nouveaux Mondes, voici la suite de l’exploration des signes de l’identité réunionnaise : le pilon / kalou, objet fondamental de la cuisine réunionnaise, menacé, concurrencé par les nouveaux mixeurs électriques. Il ne s’agit pas de défendre, sur le mode nostalgique, un objet artisanal qui serait en voie de disparition. Le pilon se vend bien sur les marchés ! PK 97-4 fait la promotion artistique de l’objet et rend la mémoire à un pilon amnésique.
Au début, un enseignant veut constituer le « musée de la classe ». Ses élèves lui apportent des outils, de la vaisselle, des photos et des pilons hors d’usage, cassés ou percés. Les objets sont triés, identifiés, classés et présentés sur des étagères dans l’espace de la salle de classe. Les pilons deviennent les pièces vedettes de la collection : témoins de l’histoire des familles, de l’île, du monde ; médiateur pour s’approprier des échelles historiques de proximité.
Plus tard, Gilbert Clain présente aux élèves ses œuvres, dont un pilon sculpté en basalte vert : l’artiste avait donné une dimension poétique à l’objet ordinaire… la collaboration se poursuit entre la classe et le sculpteur. C’est à ce dernier que les élèves pensent pour fixer à Piton Rouge le souvenir de leurs excursions au pays des Noirs Marrons. Il réalise cinq sculptures qui délimitent un espace sacré dans le cratère de Piton Rouge. Le tailleur de pierres donne corps au rêve des enfants.
L’enseignant avait retenu la poésie des pilons et des kalous… Il en accumulait chez lui, à ne plus savoir où les entreposer. Il les dénichait dans les cours, dans les décharges publiques. Les seuls cadeaux qu’il acceptait de ses amis étaient ces pilons, ces kalous. Comme attirés par un aimant, ils affluaient chez lui, provoquant à chaque trouvaille, à chaque récupération, un bonheur qu’il faisait monter en lui comme un chant d’action de grâce.
L’instituteur habitait dans la même cour que le propriétaire de son logement. Celui-ci, qui était artiste, voyait s’accumuler les pilons indigènes dans la petite case. Les deux hommes partageaient une intense solitude volontaire et une mobilisation culturelle inspirée.
L’artiste voulu amplifier la dimension poétique et artistique d’un objet de la réalité populaire. Il devient l’archéologue d’objets devenus invisibles d’une civilisation secrète. Il allait les recueillir – droit d’épaves – dans les dépôts d’ordures, où les chercheurs exhumeront ceux qui y gisent encore. Il s’encombrait de considérations théosophiques, rêvait de transsubstantiation et d’avatars : quels effets produisent les particules du volcan à l’intérieur du corps lorsqu’elles sont quotidiennement ingérées ?
C’est ainsi que se constitua le culte du pilon / kalou. Loukanou, écrivains, sculpteurs, photographe, artisans ont participé à la célébration. L’invocation commune à créé une dynamique au-delà même de l’objet usuels. Chacun, sur les ressources propres de son art, a fait se rencontrer les formes de la réalité et les mythes et symboles qui les sous-tendent ou qui les constituent. Objet artisanal ou œuvre d’art, le pilon / Kalou, ainsi célébré sous toutes ses figures, s’articule au réel inconnu de la terre réunionnaise. Il ne cèle ni ne dévoile rien, il fait signe… encore.
Le peintre s’approprie les vues aériennes qui lui évoquent des fortifications, des panneaux de signalisation. Il définit une scénographie, dessine des consoles-autels et des teintures-rideaux. Il met en rapport les acteurs de l’exposition.
Bruno Cadet fait graviter les pilons dans des espaces virtuels. Images de synthèses réunionnaises comme celles de François Orré.
Bernard Lesaing photographie les pilons en situation comme un peintre le ferait d’une nature morte.
Les sculptures interprètent la partition des tailleurs de pierre anonymes.
Claude Berlie Caillat perçoit la vie intérieure du Kalou. Digema élève impuissant totem. Apeha fait porter le pilon dans un atlas cariatide. Jean-Paul Barbier le pose en nid sur une branche.
Les formes anatomiques de Jean-Marie Turpin enserrent un pilon et un kalou.
Eric Pongérard sublime le pilon en puissance.
Gilbert Clain se laisse aller à des variations virtuoses.
Les légendes des écrivains suppléent l’histoire ou la prennent à son défaut : Graziella Leveneur, Rose May Nicole, Éric Antoine Boyer, Alain Gili et Carpanin Marimoutou écrivent quelques pages du long récit informulé des pierres réunionnaises.
Le Conseil Général agrée les propositions de monstration des pilons et Kalous de La Réunion formulées par l’Association Loukanou.
A l’Artothèque, la boucle est bouclée : PK1 – PK974-4.
Pendant la durée de l’exposition, les pilons de l’île pourront faire monter en polyphonie leur chants au-delà des cuisines.
Cette exposition est dédiée à tous les usagers fidèles des pilons et des kalous. A tous ceux qui, sont le savoir parfois, se nourrissent de l’énergie même du volcan.
Wilhiam Zitte
Saint-Leu, île de La Réunion, 1er février 1994
Extrait du catalogue Pilon Kalou PK 97-4