« Pluriel Féminin » est né de contacts qui se sont noués à l’Artothèque du Département de la Réunion, centrale d’information de l’actualité artistique locale, immédiate et future, également aiguillage vers les lieux de diffusion périphériques, prise directe avec les mouvances des créateurs, reflet de l’activité artistique sur l’île, qui évolue, progresse avec le mouvement des flux et reflux des individus comme ceux des vagues de l’océan limitrophe.
Il y a les visites d’ateliers, par courtoisie, par curiosité et par affinité.
Dans la programmation pour 1996 de l’Artothèque, sous le titre générique « 2 or – 97-4 », six artistes réunionnais qui vivent en France métropolitaine, exposeront leurs œuvres dans l’île. En préambule à ce parti pris, il convient de poser quelques postulats, des questionnements sur la création insulaire.
Le choix singulier de ne présenter que des artistesfemmes dépasse le cadre du calendrier commémoratif, correspond au symbole allégorique de l’île-femme :
« Dans notre lit tous les monstres
Nous mettrons
Pour toi que j’aime plus au monde
Je mettrai les flores et les faunes
Les anges les hommes et les nonnes
dans notre lit
profond comme la mort … »
Jean-Henri Azéma
lie, Femme ouverte comme la baie
« D’azur à perpétuité »
L’île se constitue d’apports éphémères transitoires mais aussi de définitives ou provisoires ruptures géographiques, climatiques, affectives.
Les artistes de l’exposition inscrivent leur vie et non seulement leurs œuvres dans l’espace Réunion. Elles créent ici à partir d’un projet volontaire, hors commande ponctuelle.
Dan Chan et Pélagie Gbaguidi ont débarqué dans l’île, il y a moins d’un an. L’une est d’origine chinoise, l’autre du Bénin. Elles déballent leurs bagages. Toutes les deux sont diplômées d’écoles d’art européennes et leurs tableaux gardent la mémoire des lieux d’origine, par l’utilisation de glacis et de laque, par les tons terre et feu. Leurs premières œuvres locales contiennent le cheminement, les glissements d’une culture d’origine vers une autre d’adoption.
Sophie Lavaux se cherche entre les hémisphères Nord et Sud depuis plus longtemps. Elle navigue entre sculpture et peinture, entre naïf et abstrait.
Sylvie Chevallier et Dolaine Fuma Courtis sont allées chercher en Bourgogne ou en Bretagne les formations qui leur manquaient à la Réunion. De cette ouverture, elles ont rapporté les bases, non révélées là-bas de leur expression personnelle.
Chez la première les formes humaines se fondent de plus en plus dans des paysages colorés. Pour l’autre, le métier de tisserand a laissé la place au ciseau du sculpteur sur pierres volcaniques.
La liste des femmes-artistes est longue à la Réunion : Adèle Fernand, Claire Grosset, Mme Joséphine, D. Roubane, R. Goubet, D. Velloupoullé, A.M. Valencia, D. Jauze (la liste n’est pas exhaustive, bien sûr). Elles sont actives et manient leur art avec les exigences familles et professionnelles. Elles persévèrent dans leur travail et sont une composante – « debout» – de la culture vivante.
« D’azur à perpétuité
J’en appelle à tous !
D’ailleurs autrefois et d’ici aujourd’hui
Du Gange à la Rivière des Roches
Du Finistère à notre Pointe de Bretagne
De Macao et Canton en Poésie Eurasienne
Du silence à la Terre-Bardzour-Granmoune
A l’Est de Tamatave
Nous émettons par Cinquante Mille Signes
Que se crée ici
Notre patrie quotidienne et solidaire …
Les signaux commencent à nous revenir
En réémetteurs Va/val avec l’écho
Des Muselés reclassés
Aux Quartiers-Trois-Lettres … et plus
Du Vingt-Décembre Mil-Huit-Cent-Quarante-Huit. »
Cet appel de G. Aubry dans « Sois Peuple-Mystique marronnage » aux artistes « qui feront de la Réunion une terre d’avenir » résonne dans le concert riche de la création insulaire généreuse.
Wilhiam Zitte, Arto 97-4, In catalogue « Pluriel Féminin », 1996