L’Art corporel né dans les années soixante n’a pas fini de retenir l’attention des plasticiens contemporains. C’est ce mouvement artistique déterminant qui permet, aujourd’hui, que de jeunes artistes aient toute latitude pour explorer le corps, la corp humaine et le leur en particulier.
Julia Manches parcourt la surface, l’enveloppe de ce corps pour créer un univers onirique et abstrait que la peau, en apparence lisse, laisse découvrir en l’approchant de plus près.
Plissée, ponctuée, pressée, déformée, grâce à sa souplesse et son élasticité la peau se prête à toutes les tensions. Maquillée, colorée de matières qui diffractent la lumière, elle ouvre des espaces où l’imagination et la rêverie cheminent librement. Les lignes s’entremêlent et s’enroulent, aspirent dans ses spirales et invitent à l’errance. Les bleus tendres doucement irisés s’évanouissent dans la chair et apaisent ; alors que d’autres bleus plus durs s’entrechoquent et glacent ? Les rouges enflamment parfois, éveillent et dynamisent ailleurs.
L’artiste exploite au mieux toute la complexité de cette architecture dermique, elle nous révèle les mystères et les secrets de cette matière vivante et sensible.
Les paysages merveilleux qu’elle crée, convoquent une très large palette d’émotions, les plus nuancées, les plus subtiles.
Les parcours sont, tantôt, d’une grande sensualité, d’une infinie douceur, chaleureux et rassurants, tantôt ils sont étranges curieux et inquiétants et même violents, parfois voire angoissants.
Sur la peau de l’artiste s’inscrit un <<Ailleurs>> tactile d’une grande s’sensibilité, un ailleurs étrange et mystérieux qui trouve sa source dans le rêve et la poésie.
Interface entre l’univers environnant et l’être profond, la peau est porteuse de messages. À la frontière entre l’intérieur et l’extérieure elle révèle le moi profond, exprime ses désirs, ses rejets et affirme son individualité. Le corps, la peau, plus précisément, est en charge d’une communication avec l’Autre.
Mais le travail de Julia Manches est avant tout photographique.
La photographie implique qu’une distance s’est créée entre le corps et l’œil. Cette séparation est fondamentale elle implique par là même que les corps a une affinité particulière avec le médium photographique, en tant que support.
Dans cette recherche plastique, qui rassemble beaucoup de jeunes artistes dans le monde, se révèle le couple intangible corps-photo qui peut être vu comme un passage entre le sensible et l’intelligible.
À l’instar de la pellicule photographique, la peau est territoire où s’exprime et s’imprime la pensée de l’artiste.
Il existe une alchimie identitaire entre le corps et la pellicule photographique ; la photo devient une seconde peau. De cette alchimie, du corps photographié se dégage alors l’univers intérieur, l’univers mental de l’artiste, sa pensée.
Cette limitation à la surface permet de mieux sonder la profondeur de l’être.
Dans ce processus d’identification, il faut considérer la notion de distance comme majeure car c’est cette mise à distance du corps qui permet d’agir à égalité avec la photo. C’est-à-dire que l’œil (symbole de la perception intellectuelle) est un organe de la perception visuelle qui sépare le sujet de l’objet. Tout est différent lorsque le corps est perçu directement, lorsque d’autres organes sensoriels sont sollicités.
Avec ces « photographies corporelles », nous sommes en présence de métaphores visuelles qui nous éclairent sur la relation continue et sans limite entre le corps et la photo, entre ce qui est donné à voir, le corps de l’artiste et sa pensée, son monde intérieur.
Cette pratique de la photographie corporelle » existe chez beaucoup d’autre artistes dans le monde qui recourent à ce même langage conceptuel. Ce mode d’expression devient prépondérant et nous montre qu’un nouveau langage international est en train de se créer, sur le mode conceptuel, sur le mode de la représentation abstraite en utilisant le corps comme support.
En scrutant la surface de son corps, Julia manches va au plus profond de son être et la force visuelle de ses photographies nous en communique les secrets, les merveilles et les peurs.
Caroline de Fondaumière, extrait du catalogue « Ailleurs », 2005