Comme des bulles s’échappant d’une vie linéaire, les rêves ouvrent les portes vers d’autres soi-même, d’autres existences ; drôles parfois, extravagantes sûrement et quelques fois sombre.
Tous ces rêves sont créateurs et impriment à la conscience des images, des mots, des sentiments qui nourriront et participeront à la construction souvent de la vie ordinaire, quelque fois d’œuvres artistiques, d’un coup de génie scientifique ou bien simplement de la vision d’un évènement qui se réalisera plus tard.
Ces rêves prémonitoires signent un lien entre un univers invisible et la réalité quotidienne, entre l’au-delà et le monde qui rassemble les êtres sur terre. L’origine divine des rêves s’inscrit dans toutes les civilisations. Même à l’époque moderne ces croyances perdurent.
Au début du XXème siècle, l’interprétation des rêves déterminera la recherche des grands psychanalystes Freud et Jung qui y voyaient une porte ouverte vers l’inconscient. Fort de ces études scientifiques, les artistes liés au mouvement surréaliste ont prôné la toute puissance de cette autre réalité qui conférait au rêve une supériorité face à la raison. De même, chez les chamanes du monde entier ces évasions nocturnes sont source d’inspiration dans la vie de tous les jours.
Cette porosité entre le rêve et la réalité se vérifie partout et aussi à la Réunion. L’île de l’Océan Indien, à la croisée des peuples européens, africains et asiatiques a engendré un syncrétisme religieux source de mythes et légendes vivaces, issues de l’imagination ; souvent sombres, ils cristallisent toutes les peurs. Au fils du temps des faits divers vont se muer en mythes et de nouvelles légendes vont se forger au détour d’une route, d’un bassin ou d’autres lieux imprégnés d’une histoire fatale.
De ce corpus lié à l’histoire de la Réunion, analysé sous leurs différentes versions, compilé et étudié1 , Genathena y trouve le prétexte à ses recherches plastiques. L’artiste y puise la matière qui nourrit son intérêt pour le rêve, le rêve enchevêtré dans le réel, voire comme élément constitutif du réel. La toute puissance du rêve comme marqueur de la réalité.
Cette réalité souvent dramatique suppose un dessin sombre simplement ponctué de couleurs. Dessin aux traits fin ondulants et souples où alternent des lavis aux tons fris et pastel. Des œuvres curieuses où le merveilleux et le poétique côtoient l’effroi et les figures inquiétantes dans un flot d’encre de Chine dense qui couvre le support de papier et laisse libre court à l’imagination.
1 Daniel Honoré- Légendes créoles- 2002- Ed. UDIR
Chacun de ces dessins figuratifs nous plongent dans un univers onirique et fluide d’où surgissent des formes étranges et chimériques qui créent une tension subtile parfois, mais où l’épouvante submerge ailleurs.
Les tâches éclaboussées, les bulles d’encre ou aquarellées s’engrainent sur l’ensemble des œuvres graphiques et son rendu par les ballons dans son travail photographique. Ces petites sphères légères s’élèvent, virevoltent et pétillent autour d’animaux effrayants ou de scènes tragiques ; elles semblent se rire des drames qui se jouent et quelques fois s’en nourrir ou bien en émaner directement.
Comme ces bulles que forment les rêves, échappés du psychisme, celles dessinées par l’artiste semblent surgir des drames humains pour grossir l’imaginaire collectif et enfanter des mythes et des légendes.
Calmes ou déchaînées, ruisselantes et entraînantes les eaux embrassent toutes les scènes. La fluidité de l’eau convient aux légers et caressants lavis de l’artiste mais sert aussi l’atmosphère vaporeuse des scènes représentées qui fluctuent entre le réel et l’imaginaire. La finesse des lignes que dessinent les cheveux, expressions extérieures des pensées, ces chevelures mystérieuses qui enlacent et traversent toute son œuvre, sont autant de traits qui unissent des univers parallèles.
L’ensemble des œuvres de Genathena nous plonge dans les méandres sensuels et enchanteurs du rêve tant dans son travail graphique que photographique qui flirtent avec les mangas et dessins animés.
Des esprits charmants ou angoissants et autres créatures aux formes et consistances diverses grouillent, se meuvent, enflent et glissent et glissent avec fluidité. Ils menacent des êtres humains réduits à leur fragilité, tels des peluches désarticulées et douces soumises au grappin grinçant et gigantesque comme dans les fêtes foraines. Les lignes souples s’enchevêtrent et se tressent dans un corps de sirène, s’enroulent et se transforment en scorpion menaçant et s’emmêlent à la croisée des chemins.
Cette exposition saturée de rêve fantasmagorique est constamment parcourue d’un frisson d’angoisse que la poésie des univers enchantés vient adoucir.
C’est le dessin que Genathena a choisi comme pratique artistique mais elle ne se limite pas à la plume et à l’encre, la photographie lui permet une approche différente dans sa recherche sur le rêve, les mythes et légendes qu’elle étend dans le temps et l’espace vers des régions plus lointaines comme la Grèce, réservoir particulièrement fécond dans le domaine de la mythologie.
On y retrouve les bulles, la porte, le miroir, la grotte, le champignon, autant de points d’entrée dans l’univers onirique, fabuleux et mystérieux que l’artiste a exploré dans toutes ses profondeurs.
Caroline de Fondaumière, Historienne de l’Art, extrait du catalogue « Bulle de rêve », 2014