Seconde rétine

Un peintre n’est pas une rétine qui cherche à voir de la représentation partout. La représentation appartient à un autre domaine que celui de la connaissance de l’absolu, disait Hegel. « SECONDE RÉTINE » est la pensée qu’il me faut porter pour me dégager de la déformation qu’engendrent nos habitudes acquises, bloquées par les contraintes de la vision – à une époque comme la nôtre où on nous impose quotidiennement des pensées et des images toutes faites, une culture du tout et du n’importe quoi. Ma peinture cherche à me libérer de mes illusions en m’aidant à me délivrer de mes conventions et de mes peurs, en cherchant à me rendre plus libre et plus beau. Je renouvelle ici mon but en pensant à mes amis disparus.

Comment faire exister la peinture aujourd’hui dans une confusion médiatique des réalités actuelles et virtuelles de l’art contemporain à l’ère de l’industrie culturelle et de la globalisation ? Comment appréhender une pratique artistique picturale qui ne s’inscrit pas spontanément ni nécessairement dans le cadre des représentations construites par l’histoire culturelle de La Réunion ?

Les merveilles de la Nouvelle Pigmentation

« La peinture est, selon l’indépassable formulation de Léonard de Vinci, une cosa mentale : à l’instar des idées éternelles de la philosophie, à l’instar des essences et des concepts, elle ne meurt pas. »

(Marcel Paquet)

Parti de cette considération et de plusieurs questionnements sur la peinture à l’ère de l’industrie culturelle et de la globalisation, j’ai conçu un projet d’exposition personnelle, soutenu par l’Artothèque de La Réunion à travers son projet scientifique en faveur de la création artistique.

Cette exposition explore la Nouvelle Pigmentation de l’art pictural. Elle est une entrée en relation physique et psychique avec l’énergie interne des pigments. Elle cherche à pénétrer plastiquement la vie interne des pigments en la faisant non seulement voir sur la toile mais aussi sur la peau de mon corps dans l’acte de peindre, délaissant pour un moment le carcan des cadres, décidant à les faire céder sous la pression de l’irrégularité de principe inhérent à mon art.

L’énigme de la couleur qui fait l’objet de cette exposition a toujours existé dans n’importe quelle peinture de n’importe quelle époque. La couleur est faite de pigments, ces petites « paillettes solides qui apportent la couleur à une préparation liquide ou solide ». Elle est présente dans l’histoire de la peinture. Elle est l’élément constitutif de la peinture.

Parmi les chemins possibles où m’ont conduit mes recherches actuelles sur la Nouvelle Pigmentation en peinture, on pourra découvrir dans cette exposition, une sélection d’œuvres picturalement différentes les unes des autres, retenue comme un carrefour, comme une rencontre de chemins multiples dont chacune d’entre elles pourrait être prise et conduite très ailleurs. On ne découvrira pas un style affirmé, reconnaissable au premier coup d’œil, mais un style en gestation, un style réunionnais d’une nature intrinsèquement multiple.

Pour m’investir dans une démarche de réflexion et de création, j’ai choisi de titrer mon exposition :

« SECONDE RÉTINE », un aperçu d’une sélection de mes peintures de 1990 à 2018.

« SECONDE RÉTINE » est une démarche artistique de création en peinture qui fait suite à l’une de mes expositions antérieure réalisée en 2004 au Musée Léon Dierx de La Réunion, au côté des œuvres des artistes peintres Hermann Amann et Bram Bogart et qui portait comme titre « Des yeux dans la chaleur » : « Nos yeux sont de chair ; en arrière d’eux se tient une vie profonde qui caresse, s’affecte et nous lie à l’être de tout ce qui est en train d’être plus sûrement que toutes les choses plus ou moins « représentables », plus ou moins « reconnaissables ». Les yeux et tout l’univers portés par le visible et l’invisible sont décrit par Jean Luc Parant dans son ouvrage littéraire L’envahissement des yeux , édition José Corti, Des yeux au monde éditions Fata Morgana mais aussi à sa façon par Bernard Noël, dans son livre Le livre de l’oubli éditions P.O.L. et cités à leurs manières également par François Jacqmin et Paul Celan dans leurs œuvres poétiques dont j’ai choisi de retenir quelques extraits pour accompagner cette présentation d’exposition.

La peinture commence pour moi d’abord par une cécité avant de conquérir un regard. Avec ce genre de considération, il me fallait trouver un titre qui puisse correspondre à mon état d’âme. C’est en lisant Le livre de l’oubli de Bernard Noël que je découvris seconde rétine parmi les phrases de l’auteur et qu’il fut décidé que mon exposition adopterait cette euphonie.

Alain Noël, extrait du catalogue « Seconde Rétine »

MaCHINE ROUGE

Au début du XXe siècle c’est une photographie expressionniste (Le cri) que propose Wu Yinxian (1900-1994) qui a suivi la Longue Marche de Mao et qui créera l’Association des photographes chinois dans les années 60. Il s’ensuivra un engouement pour une photographie, non officielle, mais toujours inspirée par celui que les photographes des années 70-80 considèrent comme le « père de la photographie chinoise contemporaine».

Parmi eux, Ling Fei, Zhang Hai’er, Xia Yongli, Gao Yuan et Chen Baosheng croiseront la route de Karl Kugel, photographe parti à la rencontre de ses paires chinois et qu’il présentera à Arles en 1987. Evènement marquant une découverte par l’Europe de ces photographes chinois.

Karl Kugel a, par la suite, répondu à une invitation du Festival Caochangdi PhotoSpring, en 2012 à Pékin qui reconnait en lui un « passeur » d’images entre la Chine et l’occident.

De ses multiples voyages en Chine, Karl Kugel a rapporté sa vision, ses impressions d’une Chine mouvante par laquelle il s’est laissé porter.

Tout au long de ses pérégrinations il a collecté, capté, et enregistré cet époustouflant changement qu’il a pu observer en à peine vingt-cinq ans.

Avec un œil presque enfantin qui s’émerveille et s’interroge, il multiplie les contrastes entre l’ancien et le nouveau, entre la Chine forte de ses traditions millénaires et cette Chine nouvelle qui, avec une rapidité étonnante, a fait sienne une modernité qui s’adapte partout.

Caroline de Fondaumière, historienne de l’art,