Dossier pédagogique
Parcours pédagogique
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Parcours pédagogique
11 décembre 1890, Centerville, Wisconsin – 24 avril 1976, Bâle, Suisse.
Mark Tobey appartient à une famille d’origine anglaise qui émigre aux Etats-Unis et se fixe aux environs de Chicago. Durant son enfance passée dans le Middle West américain au bord de l’Upper Mississippi River, Mark Tobey, né d’un père charpentier et d’une mère couturière, se passionne pour les sciences naturelles, la littérature et la représentation graphique de la nature.
Il s’inscrit en 1908 aux cours du soir de l’Art Institute1 of Chicago tout en suivant une formation en arts appliqués, ce qui lui permet de gagner sa vie. Il s’installe à New York en 1911, réalise des dessins de mode pour l’illustration commerciale, des caricatures pour la presse jusqu’à la fin de la première guerre mondiale.
En 1913, Mark Tobey visite la désormais célèbre exposition d’art moderne de l’Armory Show2, où il découvre Nu descendant un escalier de Marcel Duchamp œuvre aujourd’hui considérée comme fondatrice de l’avant garde. Mark Tobey l’interprète très justement comme une leçon de désintégration dynamique des formes.
En 1918, il débute son apprentissage de la calligraphie chinoise et se convertit au Bahaïsme3 suite à sa rencontre avec la portraitiste américaine Juliet Thompson4. Fervent admirateur de cette philosophie, sa peinture tente alors de réaliser une synthèse entre respect des traditions culturelles de l’Occident et attrait de la mystique extrême-orientale.
Le bahaïsme enseigne une approche mystique de la nature grâce à une vision de l’unité du monde. Sa conversion influencera les recherches du peintre et lui fera renoncer à la société de consommation new-yorkaise. Il s’installe alors sur la côte Pacifique, étudie la philosophie et la cosmogonie : J’humais l’Orient qu’apportaient les marées.
A partir de 1922 Mark Tobey est nommé professeur de dessin à la Cornish College of the Arts5 de Seattle.
Parmi l’importante communauté chinoise de la côte ouest américaine il fait la connaissance de Teng Kwei, étudiant qui l’initie aux techniques de la peinture chinoise et à la philosophie extrême-orientale. Cette rencontre sera décisive sur le plan artistique et intellectuel pour la suite de sa carrière.
L’artiste développe alors un intérêt accru pour la culture persane et s’intéresse à la calligraphie perse, voyage d’abord en Europe, visite Paris en 1925 puis découvre la plupart des pays du Moyen Orient jusqu’en Extrême-Orient. A Shangaï il perfectionne son étude de la calligraphie et du lavis.
Dès les années 1930, alors que son travail s’éloigne de la figuration, il bénéficie d’une reconnaissance au sein du milieu artistique new-yorkais en participant notamment à l’exposition collective Painting and Sculpture by Living Americans6 organisée par le Museum of Modern Art en 1930. En préface du catalogue le directeur du MoMA, Alfred H. Barr Jr., note que cette génération de peintres « sont des adeptes de l’impressionnisme »7. Dès cette époque le travail de Mark Tobey sera régulièrement présenté au MoMA8 de NYC.
En 1931 Mark Tobey, artiste-résident au Dartington Hall9, s’installe en Angleterre dans le Devonshire. Toutefois, durant cette même période, le peintre continuera d’effectuer plusieurs voyages en Chine. Il se rend également au Japon et apprend la calligraphie nippone en séjournant au monastère Zen de Kyoto en 1934.
En 1939 Mark Tobey rencontre le linguiste américain d’origine suédoise Pehr Hallsten, qui deviendra son compagnon.
Après la seconde guerre mondiale, Mark Tobey s’intéresse à la civilisation des Amérindiens. Au cours des années 1950 il voyage en Europe et attire l’attention du peintre Georges Mathieu dès 1952.
C’est sur ce continent qu’il obtient une véritable reconnaissance internationale après sa participation à l’exposition 50 Ans d’Art aux Etats-Unis: Collections du Museum of Modern Art New York, au musée d’art moderne de Paris à l’automne 195510. Exposition reprise sous le titre Modern Art in the United States11 à la Tate Gallery Londres en 1956. Les œuvres de Willem de Kooning, Arshile Gorky, Franz Kline, Robert Motherwell, Clyfford Still et Mark Tobey regroupées dans une même salle révèlent l’expressionnisme américain en Europe.
La même année, la galerie Jeanne Bucher 12 à Paris lui offre sa première exposition personnelle européenne. En 1958, lors de sa participation à la biennale de Venise13 Mark Tobey obtient le Grand Prix.
En 1961, il bénéficie d’une importante exposition rétrospective au musée des arts décoratifs à Paris.
Durant ses nombreux déplacements, Mark Tobey se concentre sur le dessin modeste qui apparaît comme le médium idéal durant cette période de renouveau. C’est dans ce contexte spirituel et de vagabondage que le peintre se forge un nouveau langage visuel.
Avec Clifford Still 14et Mark Rothko15, Mark Tobey est considéré surtout à la suite d’articles du critique d’art français Michel Tapié16, comme l’un des créateurs de cette école du Pacifique. Ces trois artistes sont influencés par les éléments de civilisation extrême-orientale très présents sur la côte ouest des Etats-Unis, où s’affirme dans les années 1950 une forte implantation de chinois et de japonais et des collections de musées orientées vers les arts des pays de l’océan Pacifique.
Mark Tobey est souvent associé à l’Action Painting17 et au mouvement de l’expressionnisme abstrait de la côte Est défendu par Clement Greenberg. Le critique d’art américain écrit en 1944 que l’art de Tobey est un des premiers apports originaux de l’art américain18.
Toutefois Mark Tobey reste relativement isolé de cette scène new-yorkaise jusqu’en 1962 où le Musée d’Art Moderne de New York lui organise une rétrospective. A cette occasion William Seitz, conservateur du musée écrit que Tobey « a fait de la ligne le symbole de l’illumination spirituelle, de la communication et de la migration humaines, de la forme et du processus naturels ainsi que du mouvement entre des niveaux de conscience ». Il situe ainsi les recherches spirituelles et esthétiques de l’artiste sur le même plan.
Comme le note très justement Cécile Debray : L’artiste discret (…) , surnommé le « sage de Seattle », est entouré insensiblement et progressivement d’une aura d’exception, celle d’un fondateur de la modernité, d’un artiste mystique mais aussi d’un penseur de l’abstraction dont les œuvres sont rares, intimes, denses et profondes.19
Sur la sollicitation du galeriste suisse Ernst Beyeler, Mark Tobey s’installe définitivement à Bâle en 1970 partageant son temps entre la musique et la peinture jusqu’à sa disparition à l’âge de 86 ans.
Ses œuvres sont présentes dans de nombreuses institutions internationales prestigieuses : Centre Pompidou MNAM (Paris)
Fondation Beyeler (Bâle) Kunstmuseum (Bâle) Guggenheim (New York)
Metropolitan Museum of Art (New York) Museum of Modern Art (New-York)
Art Institute of Chicago Whitney Museum (New York) Tate Gallery (Londres).
Mark Tobey Renaissance of a flower, 1975.
La démarche picturale de Mark Tobey s’installe à partir de 1959 : il développe un système caractéristique constitué d’un fourmillement de signes « mes traces abandonnent, du moins en apparence, tout contenu pour se livrer entièrement à l’ivresse de se satisfaire d’elles-mêmes, de leur propre jeu graphique ».
Il décrit ses peintures comme une sorte de contemplation autonome. Son immédiateté imite en quelque sorte l’apparence du langage. Partant de la calligraphie traditionnelle, Mark Tobey invente une sorte de gribouillage, de mouvement, de rythme d’où surgissent des formes semblables à un graffiti.
Des entrelacs, toujours de petites dimensions, couvrent tout le format de l’oeuvre à la recherche d’un équilibre entre subtilité et spiritualité.
La lithographie en couleur sur papier Japon acquise par l’Artothèque s’inscrit dans cette démarche si caractéristique développée par Marc Tobey: l’utilisation quasi exclusive de petits formats sur papier aux couleurs amoindries.
Une écriture totalement abstraite, en plumes entrecroisées, en lignes enchevêtrées à dominantes de blancs, envahissant toute la surface de la page, fondant une des origines de ce qu’on appellera « all-over20 ».
Ce geste de recouvrement de bandes vibrantes de lignes, d’une infinité de signes crée une réelle profondeur. Cette oeuvre, souvent qualifiée d’abstraite, manifeste un évident besoin d’expression intérieure et conduit le spectateur dans un dialogue entre le visible et son invisible.
Renaissance of a flower est composée d’une écriture extrêmement comprimée de corps embryonnaires sans aucune hiérarchie dans la répartition de la couleur sur le papier.
Mark Tobey recherche dans cette accumulation monochrome d’entrelacs et de mailles plus ou moins compactes un relief par la seule vibration du blanc sur un fond ocre et la dispersion d’ombres bleutées.
Ces graphismes resserrés fragmentent cette masse rectangulaire verticale écrasant la forme et inventant, suivant les propres mots de Mark Tobey, une white writing. L’écriture blanche de Tobey est lumineuse, elle est métaphysique et elle est aussi élégiaque21.
En se plongant dans la contemplation, le spectateur découvre une série de signes infiniment petits qui ont chacun leur propre rythme révélé par l’intuition de l’artiste. Comme les brins d’herbe d’une pelouse, infimes parties d’un ensemble, les signes peints par Mark Tobey forment certes une seule composition mais possèdent leur propre vie avec une immense autonomie.
Renaissance of a flower peut donc être assimilé à un champ sensible agité de mille vibrations par un léger vent d’alizé où la nature prolifère en toute liberté. Renaissance of a flower nous ouvre à la contemplation de cet espace extérieur pour partir à la découverte de notre espace intérieur.
Mark Tobey écrit en février 1955 ces quelques phrases qui résument parfaitement sa quête d’absolu et inonde ses créations : « Sur les pavés des rues et sur les écorces des arbres, j’ai découvert des univers entiers. Je suis très peu au fait de ce que l’on appelle généralement « abstrait ».
L’abstraction pure serait pour moi une peinture dans laquelle on ne trouverait aucune affinité avec la vie, une chose pour moi impossible. J’ai cherché un monde « un » dans mes peintures mais pour le réaliser j’ai utilisé comme une masse tourbillonnante. Je n’assume aucune position définie. Peut-être que ceci explique la remarque faite par quelqu’un qui regardait une de mes peintures : Où est le centre ? »22
Cette recherche d’absolu empreinte de spiritualité et de délicatesse à l’écart des tourbillons de l’avant-garde et de ces mouvements éphémères l’a maintenu éloigné de l’histoire de l’art moderne où pourtant son influence a été déterminante. Face à nos angoisses systémiques et à nos crises écologiques l’oeuvre de Mark Tobey est encore aujourd’hui une réponse fascinante.
Yves-Michel Bernard, mars 2021
1 School of the Art Institute of Chicago est ouverte dès la fondation du musée en 1879.
2 C’est à l’ancienne salle d’armes du 69° régiment de l’infanterie des Etats-Unis à New-York que la plus célèbre exposition de peinture du XXème siècle doit son nom. Elle ouvre le 17 février 1913 au bout de quelques jours la toile de Marcel Duchamp provoque un scandale énorme et l’affut de plus de 300.000 visiteurs.
3 Religion monothéiste fondée au XIXème siècle, du surnom de son initiateur Abd-al-Bahā. Les membres de la Foi baha’ie réunis en Assemblées spirituelles prônent l’unité spirituelle de l’humanité et la paix mondiale généralisée et durable.
4 Juliet Thompson (1873–1956) peintre américaine, disciple de Abdu’l-Bahá.
5 Fondée en 1914 Cornish College of the Arts de Seattle est surtout renommé pour son apprentissage de la musique suivant les principes de la méthode Montessori le danseur Merce Cunningham y effectuera ses premiers apprentissages en 1937.
6 Painting and Sculpture by Living Americans, 2 décembre 1930 20 janvier 1931, Mark Tobey expose trois peintures : American Lanscape, 1928, portrait of a poet, 1928 et Victory, 1928.
7 Painters are included who are followers of the Impressionists, p5 du catalogue
8 Entre 1930 et 2021 les peintures de Mark Tobey seront présentées au cours de 37 expositions organisées par le MoMA. Mark Tobey bénéficiera de deux rétrospectives au MoMA en 1962 et en 1976.
9 D’inspiration cistercienne cette institution privée qui accueille en grande majorité des musiciens, alterne l’apprentissage de l’agronomie avec les cours de poésie et de dessin.
10 Cette exposition, financée par le MoMA et les services culturels de l’ambassade des Etats-Unis, affirme définitivement l’hégémonie de l’art américain sur l’école de Paris d’un point de vue esthétique et commercial.
11 Modern Art in the United States: A Selection from the Collections of the Museum of Modern Art New York ouvre à Londres le 5 janvier 1956 : « for some time we have been making the point that London is anxious to see contemporary American work, and it appears that our representations are beginning to bear fruit. » McCray, chef du Conseil international du MoMA
12 Depuis les années 1950 la galerie Jeanne Bucher expose régulièrement son oeuvre. Dernière en date TOBEY or not to be ? du 16 octobre 2020 au 27 février 2021
13 Mark Tobey est le premier artiste américain à obtenir le Grand prix de la biennale au XXème siècle. A Venise en 2017 importante rétrospective Mark Tobey : Threading Light (Commissaire Debra Bricker Balken) à la Collection Peggy Guggenheim, palais Venier dei Leoni
14 Clifford Still (1904-1980) peintre américain membre fondateur de l’expressionnisme abstrait américain
15 Mark Rothko (1903-1970) peintre américain d’origine russe liant abstraction et spiritualité
16 Michel Tapié (1909-1987) critique d’art français.
17 l’Action Painting est l’une des principales tendances de l’expressionnisme abstrait américain
18 Préface du catalogue de l’exposition à la Willard Gallery de New-York en 1944
19 Mark Tobey. Tobey or not to be ? Hors série Connaissance, Gallimard, Paris, 2020.
20 All Over est une technique qui utilise toute la toile, tout le format, n’a pas de centre, ne fait pas de hiérarchie entre le fond et la forme.
21 Deborah Bricker Balkan, commissaire de l’exposition Mark Tobey in catalogue coll. Peggy Guggenheim, 2017.
22 In Mark Tobey. Tobey or not to be ? op.cit.
J’ai choisi l’estampe pour raconter cet artiste dont trois œuvres figurent au catalogue de l’artothèque.
Le 11 mai 2018 une lumière diffractée en couleurs est sortie de ce monde, la fin d’une vie de peinture incessante, inquiète, tourmentée, une poétique imagière unique, flamboyante.
Frantz est mort, il avait 48 ans.
Depuis 20 ans Frantz, repeignait inlassablement les carrés de son exposition de 1994 à Champ fleuri ; détruisant, reniant, il avançait vers une œuvre déstructurée, plus radicale, brutale… dont nous n’avons malheureusement aucune trace.
Au commencement était le jeu de ballon, trois personnages de profil, un groupe de femmes à gauche, à droite un grand homme.
L’homme est figuré comme un grand tube, habillé d’un short, « un ti culotte », de chaussettes tricolores et de chaussures à crampons, du milieu de sa taille part un bras ? tenant des billets verts, de sa taille aussi partent des mouvements, formant un B, qui au bas touche le ballon de foot avec une apparence de sexe masculin.
Une baguette raide, mince et droite coiffée d’un chapeau colonial s’agite, les mots « la France » s’écrivent en vertical à l’encolure.
En face un même mouvement en B inversé envoyé par un personnage féminin, le plus petit des trois, sur sa tête un « cavadee » décoré d’une fleur de canne, figure dans une mandorle de sexe féminin.
Autour de la jeune femme ou petite fille, se projettent de nombreux écrits, toujours verticaux :
« La Réunion », « football », « vanille », dans les mains une bouteille de rhum et dans l’autre une pièce frappée d’un F (franc), son corsage rose s’allie à une jupe que l’on devine enrobante de tissu, siglée du F en médaillons en son milieu.
Ses pieds nus, ses cheveux longs noirs, couronnent un visage bijouté du nez à l’oreille comme dans la tradition malabar.
Le personnage féminin qui termine le trio, est une grande figure féminine, portant sur la tête un panier de fruits(bananes), la pointe de ses seins hérissée de pointes de cactus, les cheveux ensachés par un foulard ?.
Le vêtement se sophistique en bandes de couleurs jusqu’aux pieds chaussés de « savates deux doigts ».
Deux bandes latérales de pièces gravées de la lettre F ornent le vêtement du haut. A partir de la taille, ce sont des billets verts, les mêmes que tient l’homme, la décoration se finit en ronds jaunes siglés du F.
Le tableau est composé comme une enluminure: fond d’or, personnages de profil, une histoire qui se raconte.
Les traits du dessin en noirs délimitent les formes, remplies, à leur tour d’aplats de couleurs, de griffures de pierre, d’ombres portées, d’éraflures de craies, de pastilles de pointillés qui seront sa marque durant les années 2000.
Les visages sont esquissés, les bouches volumineuses. Tout est raide, droit, roide, les mouvements sont scandés par le langage de la couture.
Toute sa vie Frantz va employer les signes de la couture. Son dessin est parsemé de boutonnières, les traits noirs sont doublés ou triplés de pointillés symbolisant le bâti de couture, le surfilage, déjà les prémices de broderies sont apparentes.
Sur l’image suivante il va en saturer l’espace.
En 1991 l’Association pour la Diffusion de l’Art Plastique Africain Contemporain (ADAPAC) lance un concours pour le cinquantenaire de la Caisse de Coopération Economique, Frantz remporte le premier prix: son tableau est édité en estampe.
Quel humour pour des banquiers !
« La Sainte famille » parodie une rencontre biblique sous le signe de l’argent. L’argent le roi du monde. La France, l’Afrique et au milieu la Réunion, chacun se parant des attributs de sa légende.
Parade nuptiale mortelle pour « indigènes de la république »? Figures érotiques de l’aliénation, une sexualisation très forte colore la scène. Mais qu’en est-il de l’économie relationnelle, dans un marché de dupes, ou contre le pouvoir de l’argent, l’autre se dépouille de son identité pour se parer des colifichets de son maître ?
Le monde a longtemps tourné dans une vision maritime de conquêtes, des vaisseaux gonflés d’orgueil ont propagé l’aliénation à une religion de l’échange trompeur.
Frantz voulait-il dire cela ? Je ne sais pas, je le lis avec mes croyances, mon impulsion, c’est mon tropisme. Le tableau est élaboré, fini par le voyeur, c’est le regard qui fait le voyage.
Alors bon voyage à vous dans les œuvres de l’artothèque.
Dominique Calas-Levassor
Une ballade dans les champs colorés de Bernard TILLUM
Invitation au voyage dans la toile
Le spectateur entre aisément dans les tableaux de B. Tillum. Un accès est directement peint, souvent situé dans le bas du tableau. Il emprunte un chemin de terre ocre, marche sur des galets gris bleutés, saute dans une rivière d’un bleu céruléen ou des bassins de jaunes verts bleus.
Son regard commence à circuler, est arrêté par une couleur, un motif, une touche, un geste, un détail. Il remarque d’autres chemins qui tracent des sorties dans et hors du tableau vers l’horizon et les faux-horizons, les ciels, les là-bas derrière où mènent les sentiers peints qui ont bifurqué dans des sous-bois.
Il arpente donc ces morceaux de nature parsemés de champs à cultiver, participe à ses activités de planteur ou de pêcheur, à travers une pratique de la peinture.
Il approche le peintre par le biais de son univers pictural et à travers lequel il le reconnaît assez vite. Car avec des emprunts nets aux œuvres impressionnistes et post-impressionnistes composées de petites ou larges touches, et en regardant au moins trois tableaux, il reconnaît sa signature. C’est un Tillum! : un « romantique », ayant le goût du pittoresque et l’art des détails et un « réaliste » qui s’identifie au planteur pour mieux le représenter.
Sur son chemin de terre sillonnant l’espace à forts dénivelés, le planteur géo-poète a arrêté son bœuf tirant la charrette pour contempler, là, en bas, une rivière qui s’écoule, petite et pourtant remarquable par ses bleus de fraîcheur. Les roues de la charrette, les sabots du bœuf, les pieds du planteur dessinent une ligne qui y conduit. Le bleu de la charrette et celui du cours d’eau confirme ce trait unifiant. C’est Sans titre. Charette dans les Hauts (1996.36.01).
Le spectateur s’identifie alors au paysan figuré. Il occupe sa place, adopte son point de vue pour regarder, à son tour, ce qui n’est pas donné à voir dans sa totalité et ouvre ainsi son imaginaire. Où conduit cette rivière ? Ce sentier qui monte ou qui s’enfonce ? Ces points de fuite à l’intérieur d’un paysage peint frontalement ?
Dans ses tableaux, B. Tillum entrecroise des mondes réaliste et fantastique, « habités » même lorsque l’humain en est absent. Cap Mahé (1992.39.02) est un moment de paysage, digne d’un conte. Y est représenté un bord de mer ou un phénomène surnaturel, une réalité rendue imaginaire, une nature prise par sa propre force, la « sur-naturant », devenant presque dévorante.
a. Ancrage, situation artistique
Le peintre vit à Saint-Joseph, un coin de nature, proche d’un volcan serein et bouillonnant où, nous urbains, y allant, prenons juste le risque d’être pris par les forces minérale et végétale, à l’entre-deux de l’eau des rivières et de l’océan.
Le spectateur peut éprouver cette « expérience de l’originaire », face aux tableaux magiques et « romancés » du terrestre.
B. Tillum représente le monde de la terre avec les moyens de la peinture à l’huile. Ses peintures sont par leurs contenus constitutifs d’emblée du patrimoine artistique créole et d’une histoire de l’art à La Réunion, une histoire qui émerge, entre autres, de nos paysages « pittoresques », dignes d’être peints.
Alors, B. Tillum les peint, en les romantisant dans une fougue maîtrisée. C’est humble et grandiose à la fois.
L’œuvre de mémoire d’un « espastan lontan » entre dans la collection de l’Artothèque de La Réunion, dès 1992 avec Letchis, Le cap Mahé, Le petit planteur et Charette bœuf, un Sans titre (Charette dans les hauts) en 1996, puis Le Pont, La Rivière, Pêcheurs bichiques et Paysage en 2009.
Ses modes et codes de représentation sont bien du 19ème siècle romantique, animé par les révolutions politique, sociale et industrielle qui conscientisent les artistes de diverses parties du monde et orientent leurs pratiques.
Nous connaissons A. Le Roy, C-H. Potémont, A. Roussin, contemporains de ce siècle à La Réunion – leurs œuvres romantiques, pittoresques, de couleur locale, sont sur les cimaises du musée Léon Dierx. Nous connaissons moins B. Tillum.
Les catégories esthétiques citées ci-dessus caractérisent aussi ses peintures. Mais s’y rajoutent les couleurs lumineuses impressionnistes, les touches expressives, en particulier celle de Van Gogh auquel le peintre semble rendre hommage avec Paysage, une reprise ou des réminiscences de Champ au blé vert avec cyprès de 1889.
S’y rajoute l’un des thèmes privilégiés des peintres de la réalité sociale – le monde paysan. B. Tillum le connaît et le met en scène dans ses tableaux, heureux dissonants, dans notre espace contemporain. Réalisés dans les années 1990, ils soumettent à notre regard le temps de l’humain droit et soumis face et dans la nature.
Il aime surtout peindre. Face à ses peintures, une multiplicité de petits accents matériels irisés émergent et viennent toucher l’œil car il a sa gamme de touches colorées, sa palette de teintes de vert, de jaune, de bleu, de pointes de rouge et pourpre. Des plus claires au plus foncées, celles-ci utilisées avec parcimonie, pour suggérer les sous-bois, les espaces profonds.
b. Les décors paysagers des planteurs
Le spectateur s’arrête devant Le Pont jaune (2009.05.01). Il découvre d’autres petits paysages mis en abîme, entre les arches qui soutiennent le motif du pont. À l’intérieur du premier petit tableau, à gauche, se situe un point de fuite, au centre du tableau plus grand, là où le regard échappe. Tel à gauche et en haut, où il peut marcher dans le sentier qui monte vers le ciel.
Le mur de soutien du pont, devient lui aussi support à peindre. Il est envahi par des touches de vert et de jaune, laissées sur la toile, un peu à la manière de Monet pour son Bassin des Nymphéas.
Le spectateur imagine l’habitant de cette petite maison qui surgit d’un des verts et pointe le rouge de son toit. Comme face à Letchis (1992.39.01), une représentation, en légère contre-plongée, d’un espace habité sans la figuration de ses habitants.
Letchis est un arrêt sur image d’un déroulement de journée autour d’une habitation : les branches d’un pied de letchis fléchissent sous le poids de leur chargement. Sous cet arbre vert et rouge, sont peints à gauche une charrette cassée et à droite, des poules qui picorent. Du mort et du vivant de par et d’autre du tronc dans un décor de vie habituel des gens de la terre. Il se passe des choses ici. Dans ce carré de sol brûlé, de terre damée, dans cet ovale bleu. L’organisation spatiale d’un terrain d’habitation se transpose dans le champ de la toile montrant un monde d’auto-suffisance.
Les volets avec ses « z » de la maison créole sont ouverts.
c. La figure du petit planteur « connecté »
Les personnages sont représentés dans leurs actions. Leurs postures sont simultanément attitude, expression, sentiment, … Seulement un planteur est représenté de face et de grande taille, dans Charette bœuf (1939.39.04) et Le petit Planteur (1992.39.03) où il semble vouloir désigner au spectateur, l’étant du monde rural.
Les autres sont peints de dos, de profil, dos courbés à la tâche et disposés tout petits dans l’espace de la toile, avec un souci de symétrie. Ils sont anonymes.
Dans leurs activités de labeur, se dégage une humilité, une sérénité avec Pêcheurs bichiques (2009.05.03) par exemple, une toile remarquable par des parti-pris simples : planter l’action sur l’axe vertical central, user d’un double contraste coloré de quantité et de complémentaires dans un quasi monochrome bleu.
Avec La Rivière, transparaît un grand bonheur de vivre. Dans ce moment de relâche, des mères continuent à concilier leurs tâches avec le plaisir de veiller sur leurs petits baigneurs dans le bassin plus haut.
Et c’est d’abord de la fierté qui émane de Charette bœuf (1939.39.04), un joyau car il en comporte un .
Le regard sur ce tableau révèle une dimension symbolique des motifs choisis, des couleurs, des gestes du peintre. Tout semble pensé c’est-à-dire relié pour garantir ces excroissances de verts dans la dureté de la vie rurale. La charrette, le bœuf, le planteur sont reliés graphiquement – l’homme tient la corde qui le relie à l’animal, lui-même encordé à la charrette – et par la couleur, un mauve délavé pour cette charrette et pour modeler les côtes du planteur, un mauve plus soutenu pour le harnais du bœuf, trois localisations d’une même couleur sur les trois protagonistes de la toile. Plus une : ce pourpre lumineux surplombant l’animal fait montagne d’or, promesse de récolte fructueuse.
Le visible du tableau exprime beaucoup plus que de la fierté. Il révèle le lien essentiel d’interdépendance entre la charrette, le bœuf et le planteur, qui garantit le vivant.
Comment habiter le champ de la toile ?
À ce stade du regard, il semble au spectateur que le peintre installe d’abord le décor paysager pour ensuite y camper ses personnages. Aussi, c’est l’espace physique de la toile qui est considéré car le propos n’est pas de faire semblant. Le spectateur le comprend assez vite.
Les rapports entre les figures dans les tableaux lui semblent impossibles dans la réalité.
Charette bœuf (1992.39.04), encore, montre deux postures incompatibles. Le mouvement arrêté des pattes du bœuf exprime un puissant élan alors que le planteur, bien droit, chemise ouverte, torse bombé, de son seul bras tendu, stoppe l’animal dans sa course.
Le petit planteur (1992.39.03) encore, superpose une vision proche sur une éloignée. Au tout premier plan qui rapproche la figure du planteur posant pioche en main, de celle du spectateur, succède immédiatement le second plan, derrière et plus bas, avec deux petits personnages animant le paysage de culture.
L’œil se fait plaisir, va dans les Bas, monte dans les Hauts, serpente, et entre dans les petits plaisirs qui sont grands comme une scène de baignade dans La Rivière.
Le temps semble arrêté, le mouvement ralenti, pour mieux donner à voir et à entendre ce que peuvent raconter les ciels et les nuages du peintre, pour certains impressionnants.
Colette Pounia, Docteure en arts et sciences de l’art
14 novembre 2021
L’Artothèque a entrepris dès sa création, une oeuvre utile et difficile.
Faire entrer la création artistique dans le quotidien de chacun est une mission au long court qui ne porte ses fruits qu’au fil des années, qu’au bout d’un infini travail accompli avec constance. Cet ouvrage, l’Artothèque le déploie depuis des années sans grand tapage mais avec persévérance au service du public. OEuvre nécessaire et d’autant plus ardue qu’elle se heurte au jour le jour la puissante distraction des images faciles et séduisantes du commerce. Alors il lui faut un entêtement salutaire pour faire apparaître à tous les formes singulières de l’art malgré le bruit incessant de nos sociétés bavardes qui nous plonge complaisamment dans l’insignifiance et nous fait perdre notre chemin.
« L’œuvre au mur de la maison me regarde. Elle est silencieuse et patiente. Elle attend, elle vèy le moment quotidien où je la regarderai. Cette veille immobile m’oblige à arrêter un instant, à interrompre le flot d’images qui occupe sans cesse mon attention. Elle fait le vide autour de nous, elle laisse la place à la pensée, déliée ou rêveuse. L’œuvre veille sur moi qui ne crois pas, comme les images saintes veillent sur une maison croyante. Au moins je crois à cette image que j’ai moi-même accrochée là un jour. »
C’est par cette phrase que je concluais Le silence des images, le court texte écrit pour l’exposition Trafic, en février 2010.
Les œuvres empruntées, comme les livres que nous découvrons dans la bibliothèque de notre quartier, ces œuvres nous accompagnent longtemps, s’installent dans notre mémoire, construisent notre pensée et notre imaginaire.
Il est étrange pour moi de parcourir aujourd’hui ces collections comme en remontant le temps à redécouvrir les œuvres d’artistes que j’ai connus et qui maintenant sont loin de moi. Je me souviens ainsi des étranges cocons qui apparaissent dans une série de gravures1 de Mikaël Elma. Formes en mouvement, écheveaux de lignes qui semblent enfermer des êtres en gestation, petits fantômes élastiques qui bientôt déchireront les parois fœtales pour venir au jour, promesse de notre avenir.
À se faufiler dans le labyrinthe des années, je retrouve photos, peintures ou gravures que j’avais perdues de vue, vidéos ou installations qui reprennent vie sous mon regard étonné. Ainsi ces photographies extraites de la série Chaque homme est une île, de Thierry Fontaine2, qui porte un regard singulier sur notre rapport au monde. Mais aussi la surprenante série d’autoportraits que Serge Huo Chao-Si produisit dans les années 2000 et qui continue de me surprendre, ou encore les humains-mémoire que dresse Jack Beng-Thi3 tout au long de son travail. Et d’autres images4 encore que je n’avais pas oubliées mais que je retrouve avec bonheur, que je réactive en y découvrant des significations nouvelles et le plaisir d’un nouveau regard.
Au détour de l’année 1998, je vois revenir la figure de William Zitte, l’ami disparu qui dirigea les lieux et qui imagina ces expositions attachantes dont il me confia deux fois le
commissariat. Je me souviens des conversations passionnées qui accompagnèrent cette exposition5 où il souhaitait voir ensemble le travail patient de l’artisane et celui provocateur de l’artiste contemporain, sur le même territoire, tous guidés par le dispositif commun de la juxtaposition, dispositif lui-même territorial puisque convoquant la technique du patchwork, de la couture ensemble, de tissus disparates, pour former ces surfaces bigarrées et baroques. Se côtoyaient le tapidrozas familial de l’humble couturière et les assemblages étranges ou monstrueux de l’artiste contemporain. À l’image de notre société créole composée au cours de notre histoire mouvementée de la plus grande diversité d’origine, de nos arrangements baroques de croyances, de techniques, constituée de la plus grande douceur et de la plus grande violence, faite de bouts et de morceaux, tous reliés cependant par des fils invisibles.
En 2000, à l’occasion d’une autre exposition6, nous poursuivons notre dialogue en donnant à voir les traces d’une d’archéologie secrète ou imaginaire dans laquelle Teresa Small et Gino Guédama extraient de la terre d’étranges objets. Les références nordiques voisinent ici la mémoire malgache. Là, « dans l’aller-retour entre un temps si éloigné de nous, enfoui, où passé et futur se mêlent, et notre temps présent, l’artiste serait le passeur patient et attentif. »7.
Le temps s’inscrit dans la collection. Je vois alors s’avancer de jeunes artistes avec le plaisir de les reconnaître et de voir le chemin qu’ils ont parcouru depuis les jours où, élèves encore, ils me montraient leur travail dans l’atelier de l’école d’art, avec la modestie de l’apprenti.
Peu à peu se dessinent sous mes yeux des tendances, des périodes, et, ces dernières années, les signes si particuliers de notre société créole. Je ne cesse de relever dans ces œuvres diverses, les extravagances, le goût de l’ornementation, de l’accumulation, celui des juxtapositions surprenantes, la prédilection pour les formes hybrides. Des œuvres imprégnées de notre histoire mélangée, de nos traditions multipliées, et dans lesquelles le passé et le présent sont évoqués dans des formes éminemment contemporaines. Comme dans les somptueuses transfigurations baroques d’Abel Técher. Spécificité dont je reconnais les traces dans les œuvres récentes de la jeune peinture réunionnaise8.
Ces jeunes artistes voisinent aujourd’hui avec Erro, Hervé di Rosa ou Ernest Pignon-Ernest et ses images urbaines qui ont tant impressionné les jeunes étudiants aux passions de street art, à qui je montrais ses collages napolitains.
Une des vertus cardinales de l’Artothèque serait sans doute celle de nous réapprendre à regarder, à porter attention aux œuvres, de nous réaccoutumer à cette attention que nous apportions jadis à une large peinture ou à la puissance d’une toute petite gravure.
Nos modes de vie actuels, sans cesse distraits par la multitude des images qui nous assaillent, ne nous laissent aucun répit, aucune minute pendant laquelle notre regard pourrait se poser sur un être, sur une œuvre, sur le monde qui nous entoure. Tout nous entraine à une vitesse qui ne nous permet plus de distinguer autre chose qu’un flot tumultueux qui passe sans cesse et va se jeter au loin, chaotique et indéchiffrable.
Nous savons confusément que si nous ne regardons pas les images, elles disparaissent, s’effacent peu à peu, et qu’avec elles disparaît le travail des artistes, leur regard singulier sur le monde, ce regard qui nous rend intelligible le désordre inquiétant dans lequel nous vivons.
Le regard de l’artiste, qu’il soit naïf comme dans ces quelques peintures d’amateurs primées que l’Artothèque a acquises, ou qu’il soit lumineux à l’image des pièces des artistes au talent reconnu, nous propose toujours de nous interroger avec la plus grande attention sur nous- mêmes et sur notre monde.
Encore faut-il prendre le temps de ce regard attentif, ce temps indispensable à la fois à la contemplation et à la réflexion. Un temps nécessaire à l’appropriation qui nous permettra d’accueillir l’œuvre dans notre mémoire afin qu’elle nous accompagne dans notre vie et infuse dans notre imaginaire.
Nous devinons aussi que l’imaginaire, si on le laisse à l’abandon, se vide, devient l’espace aride où ne gisent plus dans la poussière que des formes mortes, desséchées. Ou encore, il se remplit d’innombrables débris, de lambeaux informes qui peu à peu, par leur entassement même, sature notre cerveau, ôtant tout espace au déliement fécond de la pensée.
Ainsi, nous avons besoin de contempler les images jusqu’au moment où les couches multipliées des signes se gravent dans nos mémoires, faisant éclore les pensées qui nous nourrissent.
D’œuvre en œuvre, avec patience, au fil de nos conversations silencieuses avec elles, nous construisons notre propre palazzo mentale, notre indispensable mythologie personnelle, celle qui nous permettra de naviguer malgré l’incertitude de nos vies. Comme une sorte kaz Mémé9 secrète où s’accumulent images et objets qui constituent l’histoire entière et intime de la famille.
Un instant se produit cette alchimie, ce moment où de la contemplation attentive de l’œuvre naît le plaisir, inextricablement lié aux compréhensions inattendues qu’elle déplie. Cette épiphanie, si précieuse pour l’âme et pour l’esprit, survient à l’occasion d’un choc soudain ou au cours d’un temps plus long, pendant ce côtoiement quotidien qui nous permet d’apprivoiser l’œuvre, de nous la rendre familière. C’est précisément cet apprivoisement, cette familiarité qui permettra la rencontre et peu à peu le dialogue fertile avec l’œuvre.
Ce moment précieux, l’Artothèques s’attache à le faire surgir chez le public, à l’occasion des expositions qu’elle programme régulièrement, mais plus encore chez le spectateur privilégié qui empruntera l’œuvre et l’invitera à entrer dans sa maison.
Parfois rien ne se passera, l’œuvre contemplée restera muette, comme ce livre emprunté à la bibliothèque ne nous parle pas, ne nous touche pas, ne réveille aucune résonnance. Mais le plus souvent la rencontre aura lieu, quelquefois sans doute faudra-t-il le temps de la rêverie. Alors surgira cette curiosité nécessaire, à partir de laquelle germera notre imaginaire, à partir de laquelle éclora la précieuse « émotion esthétique », ce moment où il nous semblera entrer dans une nouvelle intelligence du monde.
Accrochée au mur de la maison, l’œuvre me regarde. Elle convoque mon regard à moi, solitaire et silencieux, attentif enfin. L’œuvre accède à la présence. Les lignes, les couleurs, l’agencement des éléments rassemblés par l’artiste, les images qu’il construit, les personnages, les objets qu’il met en scène, tout cela prend peu à peu sa place dans les méandres de notre cerveau, élargit notre regard à la mesure du vaste monde et tisse assidument la trame chamarrée de notre vie.
Pierre-Louis Rivière, octobre 2021
Dans le cadre de son projet de mandature 2015-2021, le Département a mis en place en 2017 un dispositif original de soutien à la création artistique et de valorisation du patrimoine : les Résidences « Patrimoine et Création ».
D’année en année, le succès de ces résidences d’artiste ne se dément pas. Une bourse pour la création et la diffusion est attribuée au projet retenu après l’étude de plus d’une centaine de dossier chaque année.
Ce dispositif renouvelé vise à faire dialoguer le temps d’un trimestre voire d’un semestre les créateurs avec le patrimoine conservé et valorisé par l’institution sur 8 sites : les trois musées, l’Artothèque, Mascarin jardin botanique de La Réunion, les Archives, l’Iconothèque et la Bibliothèque (BdR), tout en favorisant les échanges avec les professionnels du lieu ainsi que des actions de médiation auprès des usagers autour du projet. Les créations issues de ces projets sont aussi hétéroclites que les disciplines, et souvent couronnées de belles surprises artistiques.
En 2017 l’Artothèque a accueilli Mounir ALLAOUI, plasticien, vidéaste qui a réalisé une résidence d’artiste de 6 mois et qui a donné lieu à plusieurs conférences
L’Artothèque a également accompagné l’artiste Eric LEBEAU dans le cadre de la 3ème édition des résidences d’artistes. Une résidence originale et qui peut surprendre au 1er abord puisqu’elle propose de mettre en résonnance « de la musique vivante dans un lieu de conservation » et d’offrir aux visiteurs un voyage « onirico-sonique ».
Intitulé « Mizik-Ô-Mizé », cette résidence s’inscrit dans la suite d’ateliers d’écriture de chanson menés par Eric LEBEAU et qui lui ont donné l’envie de continuer le travail entrepris. Le Département souhaité le soutenir dans ce projet et faire en sorte qu’il puisse élargir le public touché et créer, entre lui et les visiteurs, des conditions favorables à l’échange et à la discussion afin de nourrir l’imaginaire de chacun autour du processus de création.
Grâce aux résidences, artistes et lieux d’accueil s’enrichissent mutuellement de leurs connaissances et compétences. Elles nourrissent considérablement la pratique professionnelle de tous et provoquent des synergies insoupçonnées, de belles rencontres et des créations originales qui ne manqueront pas de séduire le public.
Les résidences d’artistes « Patrimoine et création » initiées par la Direction de la culture a permis à l’Artothèque de recevoir des artistes dans ses locaux.
En 2008, en partenariat avec le CNEAI, Le Centre National Edition Art Image à Chatou, anciennement Centre National de l’Estampe et de l’Art Imprimé, des résidences d’artistes sont organisées annuellement permettant aux plasticiens réunionnais d’entrer en contact direct avec le milieu de l’Art Contemporain parisien.
Les œuvres issues de ces résidences sont systématiquement des œuvres originales multiples qui sont partagées entre le CNEAI, l’artiste et l’Artothèque. Ces résidences d’artiste ouvrent donc une autre voie pour faire entrer des œuvres dans nos collections. Mais aussi ces œuvres multiples peuvent être mises en ventes directement auprès du public, participant ainsi à une large diffusion.
Ce partenariat a été renoué en 2017 après une suspension en 2010 consécutive à l’absence de la directrice qui reviendra en 2013.
* Danse avec un pigeon de Thierry Fontaine
* Kinola ; Pié de mangue 1; Pié de mangue 2, Lavion de Henri Maillot
* Ocean camp d’Ester Hoarau
* Pieds de bois de Yo Yo Gonthier
* Vidéo 786 – sonnenbrillen de Soleïman Badat
* Head-Toy de Pascale Simont
Jean Marie TURPIN
Sculpture en bois de tamarin
Dimension : 60 x 120 cm
Poids : 32 kg