Le rat des villes et le rat des champs

L’univers des signes est celui dans lequel nous invite Eric Grondin qui puise dans la signalétique des grandes villes les éléments de son vocabulaire artistique.

Par l’utilisation des pictogrammes, panneaux de signalisation, et autres « avertissements » au service de l’information, de l’orientation et de la réglementation urbaine, une nouvelle communication s’installe à la fois personnelle et universelle.

Reprenant la codification routière dans ses formes, ses symboles et ses couleurs, l’artiste recrée un langage visuel à mi-chemin entre l’abstrait et le figuré qui participe pleinement à une réflexion sur les mouvements de l’homme et de sa pensée tant dans son environnement immédiat que dans son univers cosmique et spirituel.

« Sans titre », ce panneau où les flèches autour d’un rond-point convergent, est une voie sans issue voire conflictuelle pour chacun puisque tout mouvement se heurte à un autre.

Si tous frappent avec un maillet, il y en forcément un qui doit se protéger, mais la situation du « Vilain petit canard » n’est que temporaire, c’est ce qu’indique de manière conventionnelle la couleur jaune des panneaux de la signalisation routière. Un téléphone public sans son combiné n’a que l’apparence d’un outil de communication ; sans interlocuteur ce « point de rencontre » se vide de sens.

La recherche graphique de Eric Grondin ne s’arrête pas à l’emploi de panneaux signalétiques, il crée et recrée à la manière d’un calligraphe asiatique des pictogrammes où le temporel côtoie l’intemporel. Le diptyque « Naissance » I et II indique l’heure de naissance de l’enfant qu’il était et cette seconde naissance de l’homme individualisé qu’il est devenu, s’éloignant du groupe. De même, « la danse » ou « Un ange passe » évoquent le mouvement des astres et les messagers de Dieu.

La recherche impérieuse d’une communication, la nécessaire circulation des idées, la réflexion, le dialogue avec les autres ou avec soi se concentrent dans un « Mandala »[1] transparent où les lignes opposent leurs couleurs dans une sorte d’éclatement visuel à l’extérieur tout en apportant une sorte de silence à l’intérieur.

Empruntée également à la cité, la bulle transparente des lampadaires urbains englobe l’île, La Réunion, la sienne. Comme les célèbres boules de neige rapportées par les touristes, « Ici, pas de neige » c’est toute l’île qui y est enfermée.

Les symboles de l’île, de la mer et sa terre volcanique, la bougie des cultes mais aussi la disquette des développements technologiques qui, comme l’avion, se rient de l’isolement. Le tube de peinture à l’huile témoigne, quant à lui, d’un foyer créatif vivant. Est aussi présent le symbole des matières recyclables qui évoque la préoccupation insulaire pour la protection du milieu tropical. Toutes ces pièces flottent au milieu de ces même billes de polystyrène qui protègent les objets transportés car, à l’instar des colis postaux qui parviennent dans cette île, tout et tous sont ou ont été importés. « Ici, pas de neige » pourrait être estampillé : « FRAGILE » !

Sa fascination pour la ville n’a d’égal que son inquiétude pour la nature menacée. Les « Fantômes » sont comme une nature tronquée, déformée. Ni arbre, ni planche travaillée, les rondins de bois sont tout simplement des arbres morts qui encerclent l’homme et le hantent. Dans un mouvement croissant, l’homme déplace, remplace la forêt. Deux pictogrammes : un homme, un arbre et un rythme suffisent pour s’interroger, s’insurger, constater, méditer, en rire, peut-être en souffrir, se révolter, réagir…

L’image se fait parfois « picto-idéogramme »[2], elle possède une épaisseur que ni l’écriture ni la représentation réaliste ne parviennent à rendre compte tant peuvent se multiplier les possibilités de pénétrer la métaphysique humaine.

Caroline de Fondaumière, Historienne de l’art


[1] Cosmogramme illustrant la structure de l’univers. Support de médiation bouddhique.

[2] André Leroi-Gouhan, Le geste et la parole, Edition Albin Michel, 1964