Les baigneuses
Extrait du catalogue « les baigneuses de Maillot » édité à l’occasion de l’exposition « les baigneuses créoles » du 9 décembre 1993 au 31 janvier 1994
Henri Maillot est né à Saint-Denis de la Réunion. Professeur d’arts plastiques, il abandonne l’Education Nationale pour se consacrer à son art, la sculpture. Il a enseigne à l’école des Beaux-Arts de la Réunion. Son œuvre la plus médiatique est « la Vénus au Livre », trophée de « questions pour un champion », l’émission de France 3.
« La récréation des baigneuses » d’Henri Maillot, a assurément bénéficié d’un clin d’œil de malice de la part du Maître d’Aix, Paul Cézanne, lorsqu’elle a été exposée au musée, dans le cadre des « Pages Cézanniennes d’un Maître d’aujourd’hui ». A La Réunion, les « causeuses » s’entretiendront longtemps d’être associées à ce thème d’art et de mythologie, traitées de toute éternité depuis la scène de la pomme du « Jugement de Paris » à la « leçon d’amour dans un parc », de Cézanne.
Sœurs des « Baigneuses », aujourd’hui les baigneuses créoles ont surgi des mains du sculpteur, pétries de terre, de vent, de chair et de feu, et entrent nues, mais déjà pas sans histoire, dans le mythe dont elles sont porteuses.
Ces baigneuses créoles sont remplies de malice, de curiosité et plus gravement de tentation de la chute, d’appel du vertige. La beauté, la jeunesse jointes au talent n’expliquent pas tout : elles ne se séparent pas du site de la Réunion.
Il est des lieux de la terre toujours marqués par un tellurique vivant. Si l’on n’oublie pas ce qui se rattache à tout ce qui touche à cet élément fondamental de la vie, il apparaît normal, presque naturel, que le Feu qui ne cesse d’être au travail dans ses profondeurs, ne cesse, à La Réunion, d’engendrer et de générer dans les hommes.
Il est une harmonie qui se dégage du site ; une harmonie qui lui est propre et qui doit au paysage presque tout de sa géométrie – cette intelligence dont l’esprit ne peut s’empêcher de s’emparer. Le site donne à rêver, le Feu l’a modelé, qui donne l’aliment à créer, l’énergie à réaliser.
Il ne fallait rien moins qu’être un fils du lieu pour réunir et associer le tout – à cette création, le feu de sa propre création. Utilisant ce feu et l’imaginaire génésique de son incandescence, qui fait lever les énergies cachées de l’être, il se saisit physiquement et émotionnellement de la superbe configuration de ce pays. Les conséquences multiples et variées de sa géométrie sont tirées – l’évidente et la profonde : Henri Maillot conclut mythiquement.
Pour faire des trois pitons trois points qui se rencontrent, de trois socles trois pôles de l’idéal qui s’appellent, Maillot à leurs sommets y a déposé pas seulement l’esprit, mais le corps.
Les « trois pitons » deviennent sommets d’envol pour de belles Icare ; ils deviennent mobilier de géants d’un Parnasse familier ; ils sont prétextes à des jeux précis et subtils de nombres et aussi de géométrie de leur ombre. Il fallait les révéler, il faut les découvrir. En prolongeant les lignes de leurs pleins qui enserrent leurs vides ; en superposant celles-ci dans celles-là et ceux-là des directions et des perspectives se lancent à la conquête des beaux nuages impavides qui concourent à couronner le tout.
L’exposition de la Réunion n’est pas seulement de sculptures mais aussi de dessins, justement ceux-là même, détachés du carnet commandé spécialement à l’artiste pour l’exposition en 1992 au Musée de l’atelier de Cézanne. Dans cette série de dessins, les baigneuses évoluent cette fois dans l’architectonique du jardin de Cézanne.
Les mythes sont des histoires vraies ou pas, dont l’imaginaire collectif s’empare et qui se prennent à exister si fort que la mémoire ne s’en départit plus, qu’on les rencontre sans cesse comme un besoin – ou du moins quelque chose qui s’en approche qui leur ressemble, comme ces images qui font écran. C’est ainsi qu’Henri Maillot aura installé pour longtemps ses œuvres dans l’histoire, aussi fraîche qu’ancienne, d’un paysage dont la beauté, qui n’a pas besoin de preuve, en répercute l’harmonie.
Il aura installé aussi dans l’histoire de la réunion une effigie, la représentation d’une présence célèbre à laquelle l’art moderne est rattaché, celle du grand marchand de tableaux Ambroise Vollard, ami de Paul Cézanne, et exécuteur testamentaire de son œuvre. Le buste exposé est une terre cuite à l’échelle de l’homme. Henri Maillot s’est saisi de la personnalité dans la force de l’âge, épanouie, l’œil à l’écoute, autant de ses propres intuitions que de celles de la pléiade d’artistes qui, chez lui et à travers lui, se sont trouvés réunis indissociablement.
La mémoire se passe difficilement de représentation pour que se pérennise le souvenir.
Marianne R. Bourges
Conservateur du patrimoine
Conservateur du musée atelier Cézanne,
Aix-en-Provence