Chaque homme est une île

Dès ses débuts dans le monde de l’image, en 1996, l’artiste qui se définit comme sculpteur impose son langage issu d’une pratique artistique directement liée au corps à travers un médium privilégié : la photographie.

Sa recherche plastique s’ancre dans la nécessité d’élaborer des modes de prises de conscience différents en bouleversant les pratiques et les définitions habituelles.

Ainsi, au cœur de sa démarche, l’écrit tient un rôle fondamental qui interagit avec l’image ; il est alors abordé en tant que phénomène à la fois verbal et visuel.

Les interrogations identitaires et existentialistes de l’artiste trouvent une réponse formelle à travers le cri, le cri montré, affiché, étouffé ou hurlé. C’est dans ce cri que s’enracine la force de sa relation à l’Autre, la prégnance d’une affinité mystique avec l’indicible et une certaine recherche d’absolu.

Les séries de « Messages » et « Sculptures » ainsi que les pièces qui suivront sont autant d’œuvres qui interrogent l’identité : le nom, bien sûr ; l’identité sexuelle, dont le thème de l’androgyne est la réponse formulée ; l’appartenance ethnique et l’attachement à l’île natale, toujours présente ; la relation au monde qui entoure cette île et les communications réelles, possibles, conçues ou entravées.

Cette pratique de la « photographie corporelle » est commune à plusieurs artistes internationaux. Nous sommes en présence d’un mode d’expression qui devient prépondérant et qui nous montre qu’un nouveau langage se crée un peu partout dans le monde, sur le mode conceptuel, sur le mode de la représentation abstraite en utilisant le corps comme support. De nombreux artistes de notre planète y adhèrent en se nourrissant des spécificités propres à leur culture et aux problématiques de chacune d’elles.

Caroline de Fondaumière

Extrait du catalogue « Chaque homme est une île », 2005

Ailleurs

L’Art corporel né dans les années soixante n’a pas fini de retenir l’attention des plasticiens contemporains. C’est ce mouvement artistique déterminant qui permet, aujourd’hui, que de jeunes artistes aient toute latitude pour explorer le corps, la corp humaine et le leur en particulier.

Julia Manches parcourt la surface, l’enveloppe de ce corps pour créer un univers onirique et abstrait que la peau, en apparence lisse, laisse découvrir en l’approchant de plus près.

Plissée, ponctuée, pressée, déformée, grâce à sa souplesse et son élasticité la peau se prête à toutes les tensions. Maquillée, colorée de matières qui diffractent la lumière, elle ouvre des espaces où l’imagination et la rêverie cheminent librement. Les lignes s’entremêlent et s’enroulent, aspirent dans ses spirales et invitent à l’errance. Les bleus tendres doucement irisés s’évanouissent dans la chair et apaisent ; alors que d’autres bleus plus durs s’entrechoquent et glacent ? Les rouges enflamment parfois, éveillent et dynamisent ailleurs.

L’artiste exploite au mieux toute la complexité de cette architecture dermique, elle nous révèle les mystères et les secrets de cette matière vivante et sensible.

Les paysages merveilleux qu’elle crée, convoquent une très large palette d’émotions, les plus nuancées, les plus subtiles.

Les parcours sont, tantôt, d’une grande sensualité, d’une infinie douceur, chaleureux et rassurants, tantôt ils sont étranges curieux et inquiétants et même violents, parfois voire angoissants.

Sur la peau de l’artiste s’inscrit un <<Ailleurs>> tactile d’une grande s’sensibilité, un ailleurs étrange et mystérieux qui trouve sa source dans le rêve et la poésie.

Interface entre l’univers environnant et l’être profond, la peau est porteuse de messages. À la frontière entre l’intérieur et l’extérieure elle révèle le moi profond, exprime ses désirs, ses rejets et affirme son individualité. Le corps, la peau, plus précisément, est en charge d’une communication avec l’Autre.

Mais le travail de Julia Manches est avant tout photographique.

La photographie implique qu’une distance s’est créée entre le corps et l’œil. Cette séparation est fondamentale elle implique par là même que les corps a une affinité particulière avec le médium photographique, en tant que support.

Dans cette recherche plastique, qui rassemble beaucoup de jeunes artistes dans le monde, se révèle le couple intangible corps-photo qui peut être vu comme un passage entre le sensible et l’intelligible.

À l’instar de la pellicule photographique, la peau est territoire où s’exprime et s’imprime la pensée de l’artiste.

Il existe une alchimie identitaire entre le corps et la pellicule photographique ; la photo devient une seconde peau. De cette alchimie, du corps photographié se dégage alors l’univers intérieur, l’univers mental de l’artiste, sa pensée.

Cette limitation à la surface permet de mieux sonder la profondeur de l’être.

Dans ce processus d’identification, il faut considérer la notion de distance comme majeure car c’est cette mise à distance du corps qui permet d’agir à égalité avec la photo. C’est-à-dire que l’œil (symbole de la perception intellectuelle) est un organe de la perception visuelle qui sépare le sujet de l’objet. Tout est différent lorsque le corps est perçu directement, lorsque d’autres organes sensoriels sont sollicités.

Avec ces « photographies corporelles », nous sommes en présence de métaphores visuelles qui nous éclairent sur la relation continue et sans limite entre le corps et la photo, entre ce qui est donné à voir, le corps de l’artiste et sa pensée, son monde intérieur.

Cette pratique de la photographie corporelle » existe chez beaucoup d’autre artistes dans le monde qui recourent à ce même langage conceptuel. Ce mode d’expression devient prépondérant et nous montre qu’un nouveau langage international est en train de se créer, sur le mode conceptuel, sur le mode de la représentation abstraite en utilisant le corps comme support.

En scrutant la surface de son corps, Julia manches va au plus profond de son être et la force visuelle de ses photographies nous en communique les secrets, les merveilles et les peurs.

Caroline de Fondaumière, extrait du catalogue « Ailleurs », 2005

Infinies limites

La question est : où est-on ? C’est probable­ment ce que se sont demandé en premier les explorateurs qui ont découvert la Réunion. La première réponse fut certainement : une île sans hommes et sans nom, on est là où on n’est jamais allé. Puis ils se sont installés. Freddy ressemble à ces pionniers dans son approche de la peinture, il ne perçoit pas le tableau comme une terre vierge mais comme un espace inhabité.

On entre dans la peinture (sas). On ne mesure plus le temps du regard. Oubliées les sept secondes de moyenne prêtées habituellement aux passagers du Louvre. On est à la fois quelque part, peut-être sur la plage à regarder le ciel et la mer se confronter pour la paternité de l’horizon, et à la fois nulle part, une surface rectangulaire peinte où rebondissent les mots (dure limite). Une plage est, selon le désir de chacun, là où la mer finit, ou là où la mer commence. Le regard est une décision qui crée une vue : la ligne d’horizon esquissée, trait d’eau-céan et d’atmosphère, un infini en même temps qu’une barrière impossible. « Va voir à l’horizon » nous dit-on, cela signifie clairement qu’on n’y trouvera personne, rien d’autre que la disparition.

On peut démonter le regard en six opérations successives : la notation des contours, les seuls contours sont ceux donnés par la découpe du tableau ; la composition qui réunit les surfaces et articule les formes ; la réception des lumières ; la notation du support ; l’analyse des concepts ; la mise en espace du tableau. L’idée de la peinture comme histoire de voir investit le tableau dans un rapport frontal, comme un instrument de cette narration. L’abstraction n’est-elle pas simplement la manifestation visible d’une dualité universelle : une figuration qui n’est pas immédiatement visible ? Fugitive, émergente ou noyée (sans titre), elle se dissout dans la fonction de la figure pour faire figure de tableau.

Freddy n’est pas naïf. La Réunion est son héritage, ses racines créoles, mais elle n’est pas son enfance, d’où une retenue naturelle, une distance salutaire. L’abstraction est pour lui une façon de sortir de l’attente que l’on a généralement d’une représentation authentique d’un Réunionnais, sa panoplie de créole et la carte postale de l’ilote (spécimen, contre­courant). L’abstraction est une tradition que Freddy peut s’approprier sans dogmatisme (murmures). Elle consiste dans son travail à ce que j’appellerais « impressions de Réunion ». La légèreté, le glissement, le déplacement, la tangente sont alors des engagements formels. Il ne s’agit pas de transformer le monde mais de proposer au spectateur une expérience de perception, un exercice de vie, une question de vibration. La peinture de Freddy est, de ce point de vue, une proposition inaliénable qui travaille une façon d’apparaître (la cellule).

Il propose une vision qui fait fondre les formes solides en brumes de couleurs (mort ou vif).

Une planéité lyrique. Le seuil et l’étendue. Une peinture rétinienne, la surface picturale, comme réalité et comme source de sens. Un espace métaphysique sans ombre. Une expérience exogène : la quatrième dimension immobile (double tension), les tropiques d’une cinquième saison (le seuil).

Les contours diffus donnent une peinture « non dessinée » pour plus de sensation et moins de discours. Une surface d’attraction pour le regard, un espace de séduction où la couleur et son traitement aspirent le regard dans quelque chose de non-spécifique, une dérive vers un espace-chose hors du temps plus mental que gestuel. Des images vues par des yeux frottés ou éblouis. Des visions d’un pays rêvé et perdu, un monde sans lettre, une impression naturelle doublée d’un surréalisme personnel (le passage). La couleur peut alors régler sa dette envers la mémoire et reconnaître dans une toile un ciel bleu saigné à blanc (le seuil).

Des surfaces sans les traces pour raconter les procédés de fabrication du tableau, sans épaisseur de matière, sans empreintes de pinceau, sans la gravité des coulures, lisse comme la surface d’une mer d’huile. Les vestiges d’une activité humaine qui permettent au spectateur d’exécuter mentalement le tableau et de lui apporter ainsi une « biographie », les témoignages laissés par la main du peintre sont estompés. On ne refait pas le tableau, on entre dans une contemplation silencieuse (on/off).

Je suis persuadé qu’après sept secondes d’observation d’une œuvre d’art, le corps respire différemment. Le temps de regard répond à celui de l’exécution de la peinture à l’huile.

Les compositions de lignes sont plus formalistes. Des tableaux composites plus dynamiques (strates). Il s’agit de balayer les brumes colorées (émissions) : fragment, détail, construction, agglutinement, composition instable, recouvrement, heurts, basculement, débordement, (infiltrations) d’un côté à l’autre, concentration de lignes horizontales de navigation. L’œil glisse sur ces lignes d’action et on remplit mentalement l’espace « vide » qui l’entoure, en prolongeant les segments, une trame infinie qui appelle le regardeur à se laisser happer par l’étrangeté pour combler les blancs.

On a affaire à une pratique qui conduit au doute, y aurait-il une figure autre que celle de la peinture « pure » derrière ces tableaux ? Plus le doute grandit, plus la méfiance de Freddy vis-à-vis de sa propre production augmente. Plus le temps passe, plus la présence de la figuration se développe. Le tableau n’est plus une seule surface animée mais un espace de coexistence. Le divan, figure minimaliste et brouillée, vanité aux temps plus rapprochés des sujets représentés, image impure car elle reste peinture. Objets, figures et paysages sont absorbés. Un état intermédiaire entre l’objet et l’abstraction, aux confins du quotidien et de la peinture seule.

Le mobilier structure l’espace du tableau, occupe sa surface et ses lignes le traversent. Il révèle la possibilité d’une présence humaine et dévoile son absence, une absence positive. Cette disparition était plus abstraite, plus enfouie dans les espaces colorés. Cette idée est à présent resserrée, recadrée. Les couleurs en sont moins admirables. Elle apparaît dans une figuration plus évidente et pourtant incertaine comme l’image tremblée et lointaine d’un mirage. La peinture semble éclairer Freddy dans cette direction.

L’installation de ses toiles reflète le désir de s’emparer d’une architecture pour métamorphoser la visite en processus non linéaire. On traverse des lignes de démarcation. On se sent franchir un seuil entre deux mondes. Il s’agit de monter une topologie qui crée une tension entre mouvement et inertie. Le spectateur confronte son corps et son temps à la spatialité coloriste et atmosphérique des peintures. Les territoires se croisent. L’ordre de la traversée se fait différent. On est amené à penser qu’il faut savoir parfois avancer à pas de somnambule pour identifier son monde environnant.

Luc Jeand’heur, extrait du catalogue « Infinies limites »

Les lanternes sourdes

Extrait de l’ouvrage « les Lanternes soudes » publié avec le concours de l’Artothèque du Département de l’île de la Réunion, la DRAC et Courants d’Art, 2004

Les voies qu’emprunte Yo-Yo Gonthier, pour faire le portrait de son île, semblent au premier abord multiples et indirectes. Pourtant, à y regarder de plus près, elles s’associent et convergent pour nous mener au cœur de l’identité réunionnaise.

Loin de nous offrir l’imagerie attendue de paysages volcaniques grandioses, d’une nature luxuriante bordant un océan turquoise (cliché qui, comme tant d’autres, contient pourtant sa part de vérité) Yo-Yo Gonthier nous propose une vision urbaine et nocturnal, un tableau composite, brossé à petites touches, fait de navires en attente, de friches industrielles, d’architectures post coloniales, de constructions éphémères, d’éléments d’urbanisme, de reliquats de nature. Une approche quasi archéologique où l’homme n’est présent qu’à travers ses oeuvres.

Dans cette île de tous les métissages, il se montre d’abord sensible au frottement des choses entre elles qui engendre des étincelles de vie : à la rencontre des influences culturelles venues d’Afrique, d’Asie, des colons européens ; à la cohabitation difficile entre l’activité humaine et le milieu naturel que révèle, non sans dérision, une âpre rivalité entre arbres et réverbères. Il donne à voir la friction du passé et du présent à travers les rêves en miettes des navigateurs de jadis, à travers des architectures vernaculaires, des vestiges de sucreries, abandonnées ou en activité, héritières de l’économie esclavagiste. Il met en scène la confrontation de la lumière et de l’obscurité d’où jaillissent ces images.

Paradoxe, que ces lanternes sourdes, de ces lumières allumées pour être vues et non pour éclairer, pour guider l’égaré dans un monde sans repères. Sourdes, ces lanternes se font veilleuses pour les aveugles que nous sommes, pour les étourdis qui les confondent avec les vessies de l’agitation productiviste, pour les embarqués du Grand manège où tourne le capital à la poursuite de lui-même.

Paradoxe, que cette photographie ancrée dans la réalité du monde mais libérée de sa prolifération contraignante, de l’injonction de fidélité attachée à toute démarche documentaire. Ici, le photographe ne taille pas dans le continuum de la réalité visible. Nul besoin d’élaguer le superflu déjà absorbé par la nuit. Pas de hors champ. Son geste est proche de celui du peintre devant la toile vierge, de l’écrivain face à la page blanche ; de l’écran noir de la nuit surgissent des formes qu’il modèle, sculpte au gré de sa lampe-pinceau pour faire émerger le sujet dans sa pureté. A l’attitude soustractive du reporter, il substitue le geste constructeur du dessinateur. Nulle hiérarchie entre ces deux positions. Simplement deux dispositions d’esprit, deux types de création, de ce-création du monde.

Une re-création née un jour d’un dessin automatique sur un carnet de croquis. On y voit une barque dans la nuit, dressée sur ses tins ; au-dessus, des fils sont tendus où, accrochées, comme du linge, quelques étoiles brillent. Des annotations, encadrent ce dessin, comme autant de préceptes destinés à accompagner le voyageur dans son parcours d’image : « Ne pas prendre de raccourcis », « Ne pas trop nourrir la tête, sous peine de déséquilibre », « Ne jamais perdre de vue les étoiles de survie. Danger de mort ».

De ces étoiles-lanternes séchant avant le départ, un monde est sorti. Ce n’est pas le premier : d’autres, très anciens, peuplés de créatures fossilisées, l’ont précédé. Yo-Yo Gonthier est aussi démiurge. Mais, homme discret et posé, artiste méditatif, il ne s’en vante pas.

Jean-Christian Fleury

Matière à penser

C’est sur un fond de contestation globale de la société, sorte de dissidence culturelle conduite par l’idéologie hippie au cours des années soixante qu’apparaît l’Art corporel (en Europe) ou Body Art (aux Etats Unis). En rupture totale avec les pratiques artistiques traditionnelles, certains artistes ont fait de leur corps un médium d’expression formelle, l’exposant parfois aux situations les plus extrêmes, l’inscrivant avec force dans un discours engagé et subversif visant à perturber, changer ou remettre en question les anciennes valeurs, les modes de vie traditionnels et le pouvoir établi.

Le recours à la photographie, par ces artistes présentant leur propre corps, répondait alors à un besoin de témoigner d’une action ou d’une performance éphémère. Rapidement la photographie fut intégrée au processus de création, dans une relation où l’artiste lui-même venait faire corps avec son oeuvre.

C’est cet état de connivence liant le médium photographique et le corps de l’artiste que nous révèlent les expériences de trois plasticiens d’origine et de culture différentes : Julia Tiffin (Sud-Africaine), Qui Zhijie (chinois ), et Thierry Fontaine (Français).

Cette adéquation corps-photo apparaît comme un passage entre le sensible et l’intelligible. L’artiste interroge la réalité, nous la montre toujours plus évanescente, légère, insaisissable. Qu’est-ce qu’un corps, qu’est-ce que la matière ? La science moderne l’interroge encore. L’artiste perçoit également cette indécision, la fragilité de cette notion. Une sorte de connexion essentielle existe entre le corps et la photo par leur temporalité et l’idée d’un processus en permanente transformation. Mais aussi, comme le corps – support des principes spirituels, qui figure l’homme, qui en est l’image – la photo est le support d’une image bidimensionnelle où l’épaisseur corporelle est supprimée. Dans cette alchimie identitaire, la pellicule photographique devient une seconde peau, la pensée s’inscrit dans la chair de l’artiste, du corps photographié semble se dégager son univers intérieur, son univers mental.

En choisissant de se limiter à la surface, le créateur invente une nouvelle réalité. Une réalité située au-delà de tout, avec une autre profondeur ; une profondeur différente logée dans le domaine du possible, du non réalisé.

Au cœur de cette entente secrète, la notion de distance en est la clé. Tout se joue au travers de l’œil, symbole de la perception intellectuelle et organe de la perception visuelle qui sépare le sujet et l’objet. Par l’intermédiaire de l’image photographique, le corps est mis à distance et agit, à égalité avec la photo, comme un médium.

Par le regard séparateur qui permet de reconsidérer la matérialité, nous pénétrons dans le domaine de la pensée, indissociable de l’activité créatrice dans laquelle l’artiste engage son propre corps. C’est par le corps que la pensée émerge, les frontières entre esprit et matière sont désormais gommées et le savoir scientifique le confirme, à présent, en offrant une autre conception de l’homme et de son univers qui bouleverse la raison ordinaire. Ces « photographies corporelles » ou métaphores visuelles éclairent la relation continue et sans limite, l’identification entre ce qui est donné à voir, le corps de l’artiste.

Le corps sans épaisseur

L’effacement des limites formelles mis en œuvre dans cette corrélation entre le corps et la photo s’étend à la définition même de la photographie. En requalifiant leurs œuvres de « tableaux photographiques » au début des années quatre-vingt, les artistes ont, eux-mêmes, anticipé sur le reversement de la notion de photographie dans le champ de la peinture ou de la sculpture comme en témoigne l’attribution en 1990 du Grand Prix de la Sculpture au couple Becher, tenant de la photographie objective.

(…)

Le grain de l’image et de la peau

Une douleur sourde parcourt les photos de Julia Tiffin, travaillées à la manière d’un peintre mélangeant ses matières faites d’acide et de gélatine, lesquelles induisent des formes boursouflées, creusées et rongées, d’une peau toujours éruptive.

La pellicule est marquée, brûlée. Le grain de l’image se confond avec le grain de la peau. Une violence en noir et blanc adoucie des nuances de gris nous projette avec force dans le contexte politique et social sud-africain dont la brutalité d’un discours raciste a marqué dans sa chair plusieurs générations d’hommes et de femmes, de noirs et de blancs.

La peau devient le territoire où s’exprime et s’imprime toute la pensée d’un peuple. L’artiste y grave sa hantise de la mort. La blessure, la plaie béante sur la peau lisse et nette d’un corps nu renvoie à l’érotisme comme une violation de l’être atteint au plus profond de son intimité. Tout semble procéder du désir ardent d’extirper au corps sa vérité, son secret, dans un élan comparable à celui qui a animé l’artiste tout au long de l’histoire de la peinture occidentale, en rappelant le caractère mystérieux et précieux de la vie et cela même au cœur des scènes les plus brutales de saints martyrisés, de Christ crucifié ou de cadavres autopsiés.

Cet arrachement violent et l’érotisme qui le soustend confinent au sacré, au désir incandescent d’unification intérieure et d’harmonisation des opposés.

Dans cette série intitulée « Skin », la pensée fait corps avec l’image, adhère à la pellicule photographique qui se confond avec la peau de l’artiste.

(…)

Caroline de Fondaumière

In catalogue « Matière à penser »

Flirting with myself

Des créatures presque immatérielles constituées de lumière irradient un ciel bleu et serein. Surexposées, les photographies de Esther HOAREAU le sont à la limite du supportable, de la brûlure rétinienne. La lumière éclatante jusqu’à l’éblouissement, pure et absolue devient ici sujet et thème photographiques. Le choix du numérique, comme outil malléable tant dans le traitement de la lumière que dans les possibilités infinies de capturer des images sur le réseau, est souvent celui des très jeunes artistes. Comme eux, Esther HOAREAU a recours aux multiples manipulations informatiques servant au mieux son propos et les effets visuels recherchés.

Les personnages évanescents ou angéliques, les pieds et mains projetés vers le ciel flirtent avec les limites du cadre rendant à l’immensité spatiale son ampleur, sa profondeur. La légèreté des bleus, la grâce de ces êtres portés aux nues et les embrasements célestes, tout concourt à la célébration de ces apparitions lumineuses. Le ciel diurne dans son éclatante luminosité est une belle métaphore de la naissance de l’esprit, de la conscience et de l’élévation. Lieu métaphysique par excellence, le pur azur recueille tous les élans, les aspirations ou invocations. La pure lumière concentre en elle le mystère et l’étrange de la Transfiguration qui a toujours fasciné depuis les peintres d’icônes jusqu’aux grands maîtres de la peinture occidentale.

Mais choisir la lumière pour thème c’est aussi s’appuyer sur sa part d’ombre. L’extériorisation que symbolise la lumière comme une promesse de rencontre avec l’Autre fait suite à une longue et minutieuse exploration des profondeurs corporelles avec une inquiétante et voluptueuse obsession de soi. Dans ses travaux d’élève aux Beaux-Arts, Esther HOAREAU avait développé, comme bon nombre de photographes de sa génération, une esthétique trash1propre à exprimer cette rencontre érotique avec soi même, sorte de macération intérieure, sombre et chaude, humide, sanguinolente et viscérale.

Quelques photos de transition témoignent de ce passage du rouge sang au bleu ciel. Les pieds plongés dans l’opacité de la matière ne retiennent que le délicat effleurement, l’exquise caresse et la voluptueuse sensation épidermique dans une relation préhensile au monde extérieur, semblable à une grisante tentation de ce qui est au delà de la sphère personnelle.

Ainsi, après avoir parcouru la densité corporelle et épuisé l’intimité profonde du corps, les photographies d’Esther HOAREAU acquièrent, en s’allégeant, une force plastique qu’une dimension philosophique au caractère universel soutient amplement. Ses images intemporelles évoquent le collage de la peinture Moderne et son discours sur la réalité, l’espace tridimensionnel et la notion de fragment. Les éléments collés intensifient le caractère fragmentaire de la représentation qui, en le réduisant à l’état de signe, introduisent du sens dans la photographie devenant, dès lors, une réelle composition, méditée et maîtrisée.

C’est un même courant qui entraîne les jeunes photographes sur les rives du cinéma et de la vidéo dans leur réflexion sur la nature séquentielle de la photo. “ Swiss mélody ” est une série de photographies montée comme un film et projetée suivant le rythme et l’idée du mouvement inscrit sur l’image fixe. De jeunes hommes et femmes à demi nus forment une farandole et dansent au milieu des fleurs. Une sorte d’équilibre s’est créé où l’emphase d’un firmament éblouissant semble, à présent, s’apaiser dans la représentation poétique d’un simple et lumineux champ de boutons d’or qui berce des êtres légers et sereins, purs comme des nouveau-nés. Comme eux, ils portent tous les couches-culottes qui rappellent la nuit intérieure et les forces biologiques avec lesquelles ces êtres de lumière doivent aussi compter.

Pourtant issues de ces “ photographies de l’intime ” qui se sont multipliées ces dernières années, les propositions de Esther Hoareau parviennent à éviter l’écueil du banal, du quotidien et du particulier en éclairant à ce qu’il y a d’universel dans l’Homme. Flirting with myself est une ballade légère et transparente au parfum de cet autre soi accordé à l’univers.

Caroline de Fondaumière

1/ En faisant référence à l’horreur, au viscéral, au vampirisme et autres mouvements sataniques ou gothiques venus de la Californie, les dessins exposés par Cameron Jamie au Centre National de l’Estampe et de l’Art Imprimé à Chatou en octobre 2001, reflètent cet univers marqué d’une espèce de romantisme tourmenté dont se réclament bon nombre de jeunes artistes.

Le rat des villes et le rat des champs

L’univers des signes est celui dans lequel nous invite Eric Grondin qui puise dans la signalétique des grandes villes les éléments de son vocabulaire artistique.

Par l’utilisation des pictogrammes, panneaux de signalisation, et autres « avertissements » au service de l’information, de l’orientation et de la réglementation urbaine, une nouvelle communication s’installe à la fois personnelle et universelle.

Reprenant la codification routière dans ses formes, ses symboles et ses couleurs, l’artiste recrée un langage visuel à mi-chemin entre l’abstrait et le figuré qui participe pleinement à une réflexion sur les mouvements de l’homme et de sa pensée tant dans son environnement immédiat que dans son univers cosmique et spirituel.

« Sans titre », ce panneau où les flèches autour d’un rond-point convergent, est une voie sans issue voire conflictuelle pour chacun puisque tout mouvement se heurte à un autre.

Si tous frappent avec un maillet, il y en forcément un qui doit se protéger, mais la situation du « Vilain petit canard » n’est que temporaire, c’est ce qu’indique de manière conventionnelle la couleur jaune des panneaux de la signalisation routière. Un téléphone public sans son combiné n’a que l’apparence d’un outil de communication ; sans interlocuteur ce « point de rencontre » se vide de sens.

La recherche graphique de Eric Grondin ne s’arrête pas à l’emploi de panneaux signalétiques, il crée et recrée à la manière d’un calligraphe asiatique des pictogrammes où le temporel côtoie l’intemporel. Le diptyque « Naissance » I et II indique l’heure de naissance de l’enfant qu’il était et cette seconde naissance de l’homme individualisé qu’il est devenu, s’éloignant du groupe. De même, « la danse » ou « Un ange passe » évoquent le mouvement des astres et les messagers de Dieu.

La recherche impérieuse d’une communication, la nécessaire circulation des idées, la réflexion, le dialogue avec les autres ou avec soi se concentrent dans un « Mandala »[1] transparent où les lignes opposent leurs couleurs dans une sorte d’éclatement visuel à l’extérieur tout en apportant une sorte de silence à l’intérieur.

Empruntée également à la cité, la bulle transparente des lampadaires urbains englobe l’île, La Réunion, la sienne. Comme les célèbres boules de neige rapportées par les touristes, « Ici, pas de neige » c’est toute l’île qui y est enfermée.

Les symboles de l’île, de la mer et sa terre volcanique, la bougie des cultes mais aussi la disquette des développements technologiques qui, comme l’avion, se rient de l’isolement. Le tube de peinture à l’huile témoigne, quant à lui, d’un foyer créatif vivant. Est aussi présent le symbole des matières recyclables qui évoque la préoccupation insulaire pour la protection du milieu tropical. Toutes ces pièces flottent au milieu de ces même billes de polystyrène qui protègent les objets transportés car, à l’instar des colis postaux qui parviennent dans cette île, tout et tous sont ou ont été importés. « Ici, pas de neige » pourrait être estampillé : « FRAGILE » !

Sa fascination pour la ville n’a d’égal que son inquiétude pour la nature menacée. Les « Fantômes » sont comme une nature tronquée, déformée. Ni arbre, ni planche travaillée, les rondins de bois sont tout simplement des arbres morts qui encerclent l’homme et le hantent. Dans un mouvement croissant, l’homme déplace, remplace la forêt. Deux pictogrammes : un homme, un arbre et un rythme suffisent pour s’interroger, s’insurger, constater, méditer, en rire, peut-être en souffrir, se révolter, réagir…

L’image se fait parfois « picto-idéogramme »[2], elle possède une épaisseur que ni l’écriture ni la représentation réaliste ne parviennent à rendre compte tant peuvent se multiplier les possibilités de pénétrer la métaphysique humaine.

Caroline de Fondaumière, Historienne de l’art


[1] Cosmogramme illustrant la structure de l’univers. Support de médiation bouddhique.

[2] André Leroi-Gouhan, Le geste et la parole, Edition Albin Michel, 1964

Vers les jardins de la Terre pure

Figure médiatisée, le Dalaï-Lama, chef spirituel du peuple tibétain, apparaît comme le représentant de toutes les formes du bouddhisme aux yeux des Occidentaux. Ce n’est pas à un pays, ni à sa population, non plus à un représentant religieux, que le prix Nobel de la Paix a été décerné en 1989, mais à un « modèle » d’un genre nouveau qui a su mettre en relation spiritualité, mouvement de libération national, défense des droits de l’homme, un rapport différent à la nature et une religion d’une grande tolérance, qui fait dire au Dalaï-Lama : « Ne devenez pas bouddhisme, découvrez ce que vous êtes ». Le caractère moderne de son message aux valeurs universelles de paix, d’environnement (le respect de tous les êtres vivants), de solidarité (de compassion), favorise l’appropriation du bouddhisme par les sociétés occidentales, qui y voient à la fois une sagesse philosophique et une voie spirituelle.

Rennie Pecqueux-Barboni appartient à cette génération d’hommes de la fin du vingtième siècle qui ont trouvé dans le bouddhisme prônant une « révolution intérieure », la réponse aux idéologies disparues de nos sociétés occidentales.

« Vers Les Jardins de la Terre Pure », est l’itinéraire d’une ballade intérieure à travers le bouddhisme, les figures qui l’ont marqué dans cette religion devenue sienne, et en faveur de laquelle il a été ordonné moine dans l’école Zen.

« La légende dorée » :

C’est en Inde, au début de notre ère, que Nagarjuna donnera sa plus brillante expression au Mahayana, le bouddhisme du Grand Véhicule – celui qui s’épanouira dans les pays asiatiques- à travers l’école de la voie moyenne, Madhyamika. Celle – ci enseigne la théorie de la vacuité universelle. Aussi éloignée du réalisme que du nihilisme absolu, elle se situe au milieu. Ce grand penseur donnera une plus précise interprétation de l’enseignement du Bouddha en démontrant le caractère illusoire de toute chose, de l’existence mais aussi de son contraire, l’inexistence.

Peu d’informations nous sont parvenues sur la personnalité de ce philosophe mais la légende rapporte qu’après avoir médité et écrit de nombreux traités, il se retira pour coudre des toges de moine.

C’est ainsi que l’artiste le représente, évoluant vers l’état d’éveillé sur une longue « fresque » ponctuée des mêmes mains qui, avec la même gestuelle, la même précision, ont écrit des sûtras et cousu les vêtements monastiques.

Avec le légendaire Boddhidharma, c’est la pratique de la méditation et le rituel du thé qui entre en Chine à travers l’école du Chan (zen en japonais). Venu de son Inde natale, il demeura neuf ans assis en lotus et, pour lutter contre le sommeil, s’arracha les paupières. A l’endroit où elles tombèrent, un arbuste poussa. Intrigué, L’Empereur vint un jour lui rendre visite. Quelques feuilles tombèrent dans sa tasse donnant ainsi naissance à la Cérémonie du Thé.

Toutefois, le véritable instaurateur du Chan en Chine du Sud fut Houei-Neng, (638-713) qui, souvent présenté comme un illettré fougueux, en réaction contre l’opulence monastique de la capitale, étudia cependant, prêcha et rédigea un sûtra de l’Estrade. Sa momie sourit, de nos jours encore, dans un monastère des environs de Canton.

Pure création du bouddhisme chinois, le Chan emprunte la voie moyenne de Nagarjuna et la philosophie taoïste pour enseigner « l’Eveil subit ». La nature de Bouddha étant innée, la seule prise de conscience suffit à mener vers la réalisation de soi.

Les Pèlerinages de Rennie Pecqueux-Barboni nous disent la nécessité d’une prise de conscience de cette lumière qui est en nous, par l’introspection, la méditation.

Le Chan et la Terre Pure forment les deux grandes « écoles » du bouddhisme en Chine et au Japon. La Terre Pure c’est le Paradis du Bouddha Amita où sont admis tous ceux qui pratiquent la dévotion souvent réduite à la seule évocation du nom d’Amitabha. Voie de Salut « facile » où seule une foi entière confiée à la grâce du Bouddha suffit, le Paradis d’Amitabha permet au plus grand nombre, sans autre effort personnel ou exercices psycho-physiques, d’y être admis.

L’analogie avec « l’Eveil subit » du Chan devient ainsi évidente et explique que la dévotion en Amitabha se maintienne en association avec le Chan, le Zen.

La représentation du Paradis d’Amitabha, région de pureté, a donné lieu à d’excellentes œuvres artistiques où l’imaginaire et le fantastique trouvent leur pleine expression.

Rennie Pecqueux-Barboni a choisi, quant à lui, d’évoquer les Jardins d’Amitabha sous la forme de l’une des portes d’un mandala, cosmogramme illustrant la structure de l’univers et dont la visualisation permet de gagner la maîtrise de l’esprit.

Il s’agit bien sûr de la porte de l’Ouest qui correspond à la Terre Pure.

San sui (paysage en japonais), est l’occasion d’associer des peintures abstraites de couleurs chatoyantes aux compositions plus rigoureuses d’un Kesa (toge de moine), brodé aux motifs de paysages et d’un Kare-sansui (paysage sec en japonais).

Issu du bouddhisme Chan et inspiré par la peinture chinoise de paysage, le jardin de pierres et de sable, le Kare-sansui japonais, par sa grande sobriété, est avant tout destiné à la contemplation. L’immense simplicité, la beauté des espaces vides et le contraste de la ligne droite et des formes naturelles, sa propre nature. Il est l’image de l’esprit pacifié.

Instruit par les Maîtres, guidé par la lumière, purifié par le travail sur soi, le disciple peut parvenir au « Saint des Saints » et découvrir le joyau qui est en lui pour enfin parvenir à la libération éternelle. Véritable trésor, Le retable de l’Octuple Sentier de Rennie Pecqueux Barboni nous ouvre les huit portes qui y conduisent : la maîtrise de la lucidité, de la compréhension, de la parole, de l’action, des moyens, des efforts, la concentration et la méditation.

« La matière dans tous ses états » :  

L’histoire du bouddhisme Mahayaniste à travers ses personnages illustres et les moyens d’accéder au Salut nous est racontée par l’artiste à la manière des premiers Jâtakas, récits de la vie du Bouddha, avec ce côté enfantin et surtout ce même souci didactique qui préside à la conception des dessins davantage conçus comme une écriture.

Ce qui importe avant tout c’est cette attention minutieuse au travail d’assemblage, de montage, de collage, de couture et de broderie, de couleurs toujours lumineuses, la richesse des matériaux, la somptuosité de la soie, des bois d’ébénisterie, qui sont un véritable éloge de la matière. L’univers entier y est contenu, tous les éléments y sont présents.

Tout ici défie le regard ; là une céramique, beau morceau de nature morte peinte en trompe-l’œil, puis un assemblage de tessons de porcelaine chinoise. Le bois précieux est-il collé ou peint ? Dans cette magnifique étoffe il est bien difficile de savoir où commence la peinture et où s’insère le tissu véritable. Même la perspective, tantôt feinte, tantôt réelle, se joue de nos sens. La fiabilité de notre perception se perd dans la contemplation des miroirs, elle est modifiée par la présence des fenêtres qui fixent un « point de vue » et orientent le regard. Une sorte de jeu magique s’installe, qui nous conduit inévitablement à nous interroger sur le caractère illusoire de toute chose.

Les démarches plastiques de l’artiste se conjuguent avec sa recherche spirituelle. Art religieux, certes, mais aussi au cœur des problématiques contemporaines. Il dénonce les illusions de la représentation tout en « recollant » les morceaux du Tout dans cette recherche d’éternité par une union avec le Cosmos.

Quelques minutes après le Big-bang, l’univers tout entier, avec ses galaxies, ses étoiles, le feu, le métal, l’eau et l’air que nous respirons, était contenu dans un volume équivalent à une orange, nous disent les scientifiques. La réalisation de cette ré-union recherchée par les bouddhistes demande de s’affranchir des illusions sur nos individualités, qui ne sont qu’un assemblage de phénomènes : sensations, perceptions, conceptions… tous aussi fugaces, impermanents et inconsistants

« L’Orient intérieur » :

L’universalité de la pensée jointe à la cohérence des techniques utilisées par l’artiste œuvrent en faveur de l’objectif du religieux qui est de favoriser la contemplation, occasion d’illumination.

Contemplation et visualisation étant des méthodes indispensables au bouddhisme Mahayaniste, la richesse des couleurs, les matériaux précieux, l’aspect somptueux, le raffinement et la précision du geste participent de cette volonté de mettre au service d’une énergie spirituelle toute satisfaction esthétique et émotionnelle.

De même le recours au langage des symboles révèle la nécessité d’atteindre les profondeurs de la conscience, inaccessibles par la pensée conceptuelle.

Universel, mais très présent dans le bouddhisme, le mythe du paradis terrestre enfoui en chacun et qu’il est nécessaire de retrouver pour atteindre la lumière est une allégorie du chemin initiatique sur lequel sincérité, force et foi sont testées à chaque épreuve avant de conduire à l’éveil.

Enfin, le trésor, symbole puissant d’une richesse intérieure et dont la découverte passe souvent par une incursion dans un univers spirituel étranger au sien, se trouve également illustré par cette fabuleuse histoire d’un personnage qui parcourt le monde à la recherche d’un trésor vu en rêve, pour ne rencontrer qu’un autre homme ayant lui aussi fait ce curieux songe et désignant l’emplacement de son « eldorado » comme étant le lieu d’origine du voyageur. Ce dernier rebrousse chemin et, de retour chez lui, trouve enfin la fortune rêvée.

De nombreuses variantes de cette histoire existent, qui témoignent toutes de ce mystère de la rencontre. Le vrai trésor est tout proche, en nous-mêmes, mais c’est chaque fois un étranger, d’une autre race ou d’une autre religion, qui sert de révélateur à notre être profond.

Ainsi, Rennie Pecqueux-Barboni, français d’origine corse, a-t-il choisi de parcourir les sentiers de la sagesse extrême-orientale pour trouver son trésor intérieur et nous invite à partager son cheminement.

Caroline de Fondaumière

Historienne de l’Art