Catégorie : Collections
Fécondité
Myriam Mihindou a participé en juillet – octobre 2000 à une exposition collective autour du thème de la fécondité. Au gré de techniques très différentes, Myriam Mihindou, Samia Squiban, Catherine Boyer ont exploré intimement et collectivement un emblème prétexte autour duquel elles tissent leur vision de la création, du sexe, de la procréation et bien entendu, en filigrane, de la société qui l’entoure.
Loin d’être un hymne à la féminité, la réunion de ces trois plasticiennes d’origine différente (Samia Squiban est née au Maroc, Myriam Mihindou au Gabon et Catherine Boyer à la Réunion) s’affiche sous le signe d’un questionnement médiatisé par des techniques multiples. Monotypes et dessin numérique d’une rare finesse pour Samia, sculptures multiples et vidéo gourmande pour une démonstration sans concession de la libido – objet chez Catherine, photographies et vidéo placées le signe de la dialectique de la douleur et de la rémission pour Myriam, les techniques se parlent, s’interpellent, s’attirent et se rejettent au gré de cette œuvre commune qu’est l’exposition.
Myriam Mihindou traite de son statut de femme sous l’aspect du corps social. Un corps fracturé qu’on panse, qu’on plâtre, qu’on soigne, qui doit nécessairement souffrir, s’initier pour se réaccorder et aboutir à l’harmonie fécondante. Ça fait mal comme le montre « Females » une série de trois photographies de mains transpercées d’aiguilles. Ça fait mal, mais ça fait finalement du bien à l’image de l’acupuncture.
A l’intérieur d’à côté
L’Artothèque du Département propose au public réunionnais de découvrir en ce mois d’avril 1999 une nouvelle édition d’un travail de recherche photographique intitulé « A l’intérieur d’à côté ».
La première édition était consacrée à Madagascar et à notre île, aux liens culturels qui se sont tissés entre la Grande-Ile et sa voisine plus exiguë, au fil des siècles et des échanges.
Cette fois-ci, deux photographes, Ibrahim Mulin et Jonny Chaduli, nous invitent à une balade par-delà l’océan entre Mayotte et La Réunion. Deux terres placées en diagonale de Madagascar, aux destins différents mais imprégnées de la même volonté de rompre leur isolement et de s’ouvrir au monde.
Grâce à l’avion, les relations entre les deux îles se sont multipliées pendant ce dernier quart de siècle. La Réunion est devenue une terre d’accueil et de transit pour de nombreux Mahorais. A l’inverse, la destination Mayotte est de plus en plus prisée des Réunionnais.
L’objectif de Mulin et de Chaduli, a su capter, sur de beaux visages ou des scènes de la vie courante, les émotions du peuple mahorais en quête de son identité, partagé entre la tradition africaine et l’attraction de l’ensemble français.
L’île aux parfums, aux bangas, aux visages féminins ciselés par la poudre de Santal, à la poussière âcre de la brousse, au lagon insondable dévoile en chambre noire à la fois sa tragédie et ses espoirs.
Également ce besoin de reconnaissance qui est inhérent à la vie mahoraise.
Le « choc des photos » prend ici tout son sens, car à travers ces œuvres qui se complètent, deux mondes se rencontrent, apprennent à vivre ensemble, à vaincre l’indifférence surtout.
Seule la photographie, qui est l’art de l’instant, peut retranscrire avec réalisme cette recherche de soi à travers le prisme du regard des autres…
Extrait du catalogue « A l’intérieur d’à côté » 1999
Aboli, pas aboli, l’esclavage
Dèryèr Solèy 97.4
Latwal rapyésté
Une des premières œuvres de Bernard Tillum1 représente une femme -sa mère- assise à l’intérieur d’une chambre au sol de plastique rouge et blanc, devant la porte ouverte sur la bordure de fleurs au pied d’un mur mitoyen.
D’une boîte blanche posée sur ses cuisses, débordent des couleurs (formées par les rosaces). La femme fait dos à un lit recouvert d’un tapis. Tapis qui rappelle le temps longtemps, les histoires d’enfants, d’après-midi de couture où femmes et « marmay » s’entretiennent de leur ouvrage en cours. Je me plais à imaginer des « nénènes » parcimonieuses, des femmes de tous âges, générant une infinie patience, une solidarité complémentaire et une force de survie qui transcendent les clivages ruraux ou urbains, voire nationaux.
Constitué de polygones de tissus assemblés, le tapis mendiant se perd dans la nuit de la mémoire de la créolité ordinaire. Il évoque les temps de misère d’après-guerres, tels que les vieux les racontent. Rigueurs qui ont influé sur les développements économiques. L’ingéniosité des artisans de l’île pour parer aux manques de produits d’importation pour constructions ou à usage domestique ! Effort de toute une communauté !
Cette activité de couture s’est transmise par les femmes, jusqu’aujourd’hui, même si la longueur du temps de fabrication et l’organisation rigoureuse du montage ont contribué à une récession de la création. A travers les associations de formations ménagères et d’insertion, grâce à la prise de conscience pour la sauvegarde du patrimoine culturel et artistique réunionnais et accessoirement au développement des tourismes commerciaux, un intérêt nouveau, écologique, patrimonial et artistique s’est manifesté, qui a contribué à réhabiliter les tapis de rosaces. Les mères d’élèves, pour les fêtes d’école, rivalisent entre elles pour réaliser coussins et tapis en « coins », les uns plus kitsch que les autres.
Dans le cadre de visites chez des artistes, Alain Séraphine m’a montré un patchwork régulier, aux dimensions laborieuses qu’il avait fait faire dans les années 80, par des femmes du Port, un coupeur de cannes -resté heureusement inachevé. J’avais été séduit, il y a deux ans, par les toiles à coutures apparentes de Malzac, par les « gonis » assemblés de Pélagie Gbaguidi. Dans les deux cas, la peinture comptait moins que la trace dans le support.
Le rapprochement diagonal de Jean Luc Gigan me ramène à un trompe-l’œil surréaliste de toiles anciennes de maîtres européens connus et le morcellement mosaïque des peintures de Richard Riani participe au procédé d’assemblages tel que j’avais vu dans les sacs de poste de Bernard Grondin, les pelures de sacs de ciment cousus par Michèle Giscloux et les robes de moine de Rennie Pecqueux-Barboni. Ce dernier était venu me les montrer à l’Artothèque …
Pierre-Louis Rivière a évalué la faisabilité du projet et a accepté de coordonner les manœuvres de constitution de l’opération. Il a amené Dominique Ficot à faire une proposition qui conduise le thème du tapis mendiant loin de l’artisanat dans lequel il est confiné. Colette Pounia sentant le thème proche de ses préoccupations plastiques et textiles s’est engagée à côté des autres plasticiens : Madame Lauret que j’avais rencontrée à l’occasion de « Pilon&Kalou », en 1993. Elle avait prêté des pilons de sa collection. Chez elle, j’ai découvert sa passion pour la création de tapis mendiants qui transgressaient les règles de l’invariable géométrie artisanale. Térésa Small m’avait invité à venir voir ses travaux de couture. Ceux qui les connaissaient m’en avaient vanté les qualités. Claudine Rotbart, peu après son arrivée à La Réunion, est venue me montrer des photos de son travail. Elle a tenu boutique à Paris pour commercialiser ses patchworks. L’île lui a inspiré immédiatement de nouvelles créations.
Il est aisé de dire qu’à La Réunion il n’y a pas de tradition artistique et de légitimer ainsi une création qui ne se limiterait qu’au folklore et prendrait ses origines dans la tradition européenne. Pourquoi notre ile serait-elle restée en dehors de toute manifestation d’humanité ? Une langue s’y est formée, une architecture originale s’y est élaborée, des musiques s’y sont développées, ainsi qu’un artisanat utilitaire de fortune lié aux besoins d’une population générale, mais les arts plastiques n’y ont pas pris racine ?
Wilhiam Zitte
Extrait du catalogue « latwal rapyésté », 1998
1 « Femmes aux rosaces ». 1983.
63,5 x 51 cm. Huile sur toile.
Propriété de l’artiste. Exposé en 1992 dans « artistes de la réalité populaire » à l’Artothèque du Département et reproduit dans le catalogue-calendrier.
Bwadebene
Toubo Tounouvo
Le passage de l’Espace et du Temps
Le land Art comme témoignage
L’intuition du Temps et de L’Espace dans leur naturalité, constitue Ia matière brute sur Iaquelle intervient Ie CoIlectif PAR Ill. L’essentiel du travail consiste à mettre en situation des objets naturels au sein d’une nature vierge de toute influence humaine. Ce peut être ainsi quelques fleurs sauvages disposées le long d’un talus dont la réalisation s’avère éphémère, compte tenu du vent. Ce peut être également, un sol jonché de particules volcaniques dans lequel sont pratiquées des ornières qui, durant un court moment, laissent apparaître à l’air libre des zones sombres et humides. Le résultat ainsi obtenu se caractérise par une durée éphémère du fait de l’altération inévitable des éléments naturels soumis au vent, à l’eau et à la course ininterrompue du soleil dans le ciel.
L’intervention dans sa réalisation objective, révèle la subjectivité des artistes dans un choix qui se renforce au moyen d’un regard photographique conçu comme témoignage des sensations vécues dans l’instant, et c’est pourquoi il importe que s’instaure une véritable symbiose, au travers de laquelle s’exprime la volonté de faire corps avec le lieu.
La plasticité naturelle des sites engendre l’expérience émotive, qui à son tour suscite la réalisation d’une image esthétiquement pure. Aussi, dans cette captation photographique de l’éphémère et du périssable, l’accent est porté sur le caractère singulier des merveilles de l’lIe de La Réunion, qui par l’intermédiaire du témoignage laisse transparaître le sentiment de l’urgence et de ·l’instantanéité, car le Land Art du collectif PAR Ill s’articule autour de cette notion temporelle selon laquelle il faut vivre et ne faire qu’un avec les éléments.
C’est le travail de ces trois jeunes artistes que nous voudrions vous donner à voir dans ce qu’il offre de fusionnel.
Extrait du catalogue « Le passage de l’espace et du temps », 1997